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de ses droits de citoyen, osa se présenter à la barre. Le tribunal refusa de l’entendre et invita le plaideur à choisir un avocat qui eût de meilleurs antécédens. Je me garderai bien de critiquer cette décision judiciaire. Mais il est permis de se demander si les juges avaient le droit de montrer cette rigueur et de prononcer cette exclusion, puisque, en vertu de la nouvelle législation, les fondés de pouvoirs des parties n’étaient tenus de justifier ni de leur aptitude professionnelle, ni de leur moralité.

Ce ne sont là, dira-t-on, que des faits isolés, des exceptions qui étaient peut être fort rares. N’est-il pas téméraire de généraliser et d’envelopper dans une même réprobation tous les défenseurs officieux ? Eh bien, consultons un témoin qui ne sera pas suspect ; écoutons le langage attristé d’un magistrat de Paris. C’est le juge de paix de la division de la Cité, qui dénonce au conseil des Cinq-Cents les désordres et les abus dont il est chaque jour le témoin : « l’homme instruit, dit-il, l’homme probe a été confondu avec l’ignorant et le fourbe ; une foule d’individus sans talens ont osé se présenter pour embrasser la défense de leurs concitoyens. Enfin cet état de défenseur, jadis si considéré, est tombé dans l’opprobre, soit à cause de l’incapacité, soit à cause du peu de délicatesse de la majeure partie de ceux qui l’ont exercé. Il est temps que cet abus cesse ; il est temps qu’un citoyen puisse réclamer ses droits sans être exposé à devenir la victime de la cupidité et de l’inexpérience. »

Avec de pareils défenseurs, des mœurs inconnues jusqu’alors s’acclimataient au barreau. Quelques-uns d’entre eux s’étaient exclusivement adonnés aux affaires criminelles, si bien qu’ils avaient reçu le sobriquet d’avocats de prison. Il paraît que ce n’étaient point les plus scrupuleux, et Berryer père raconte qu’ils se prêtaient sans répugnance aux plus honteux marchés. L’un d’eux avait traité à forfait avec une bande de voleurs dont il était l’avocat attitré, et qui rémunérait ses services, toutes les fois qu’elle était obligée d’y recourir. Cette alliance monstrueuse ne le faisait point rougir : « c’est la bande qui me paie, » disait-il naïvement à ses collègues. Un jour, ce spécialiste s’aperçut, en pleine audience, qu’on venait de lui dérober sa montre. L’auteur de ce larcin était un nouvel affilié de la bande, un novice qui ne savait pas à qui il avait affaire. Le défenseur se plaignit à un ancien de la troupe, qui se contenta de lui demander à quelle heure et dans quelle salle ce vol avait été commis. Le lendemain, sa montre lui fut rapportée.

Au civil, l’attitude et les procédés des nouveaux-venus avaient complètement changé le caractère de la lutte judiciaire. Les relations