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de tous, l’assemblée constituante avait fait fausse route. En privant les juges de leurs guides et de leurs auxiliaires naturels, elle avait désorganisé la justice. En octroyant à tous les citoyens le droit de plaider pour autrui, elle avait attiré auprès des tribunaux une foule d’hommes sans pudeur, sans instruction, sans expérience des affaires, qui ne s’entendaient qu’à faire fortune aux dépens des plaideurs dont ils avaient surpris la confiance.


IV.

Dès que le premier consul eut pris possession du pouvoir, il comprit qu’il importait avant toute chose de réorganiser la justice. Il donna une première satisfaction à l’opinion publique en abrogeant la loi du 3 brumaire an II et en établissant des avoués près du tribunal de cassation et près des tribunaux d’appel et de première instance. Bientôt après, le décret du 2 nivôse an xi rendit aux gens de loi leur costume traditionnel. Enfin la loi du 22 ventôse an XII compléta ces réformes en restaurant le barreau.

Le titre d’avocat, aboli depuis 1790, était de nouveau consacré et le droit de plaider était exclusivement réservé aux licenciés ayant prêté serment et inscrits au tableau. Mais comment et par qui devait être formé le tableau ? Comment devait s’exercer le pouvoir disciplinaire ? La loi était muette sur ces différens points, elle se bornait à annoncer que l’ordre des avocats serait reconstitué par un règlement d’administration publique.

À vrai dire. Napoléon n’était pas pressé de réaliser cette promesse. Il ne pouvait pas oublier qu’à Paris, lors du plébiscite de 1804, sur deux cents avocats, trois seulement avaient voté en faveur de l’empire. Il n’oubliait pas non plus que tous ses adversaires politiques et toutes ses victimes, Topino-Lebrun, Adélaïde de Cicé, George Cadoudal, le marquis de Rivière, le général Moreau, avaient trouvé d’éloquens défenseurs parmi les membres de l’ancien barreau. Les courageux plaidoyers de Chauveau-Lagarde, de Bellart, de Domanget, de Billecocq et de Bonnet l’avaient profondément irrité. Il considérait comme des factieux ceux qui osaient prêter leur assistance à ses ennemis, et il ne se souciait guère de rehausser le prestige de leur profession.

Cependant, la généreuse initiative de l’un des vétérans du barreau allait vaincre la résistance de l’empereur. L’avocat Férey, qui, pendant la Terreur, avait groupé autour de lui ses confrères et soutenu leur courage, mourut en 1807. Par sa bienfaisante influence, il avait entretenu le respect des traditions et le culte des souvenirs. Contribuer, dans la mesure de son pouvoir, au rétablissement