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de l’ordre auquel il avait voué une si fidèle affection, tel était, à la fin de sa vie, le plus cher de ses vœux. Espérant que la prière d’un mourant serait exaucée, il légua sa bibliothèque et une somme de 3,000 francs à l’ordre des avocats, « sous quelque nom que sa majesté l’empereur jugeât à propos de le rétablir. » En autorisant l’acceptation de ce legs. Napoléon prenait envers les avocats un engagement solennel, et, bientôt après, sur les instances de Cambacérès, il consentit à signer le décret du 14 décembre 1810.

Dans ce décret concédé à regret, l’empereur, dont on n’avait pas pu vaincre la méfiance, avait eu soin de réserver les droits du gouvernement. Il confiait notamment au procureur-général le soin de choisir le bâtonnier et les membres du conseil et reconnaissait au ministre de la justice le droit de réprimander, de suspendre et même de rayer du tableau un avocat. C’est assez dire qu’il ne donnait point une entière satisfaction aux survivans de l’ancien barreau ; et ce n’est qu’après la chute de l’empire, ce n’est que sous la monarchie constitutionnelle, en 1822 et en 1830, que l’ordre des avocats a recouvré les prérogatives et les franchises dont il jouit encore à l’heure actuelle.

Néanmoins, le décret du 14 décembre 1810 fut accueilli avec reconnaissance par l’opinion publique, parce qu’il rétablissait la discipline et fermait définitivement la porte aux défenseurs incapables ou malhonnêtes. Le barreau libre avait vécu vingt ans : plaideurs et magistrats trouvaient que l’expérience n’avait que trop duré et qu’il était temps d’y mettre fin !

Ceux qui avaient vécu à l’époque révolutionnaire et qui avaient vu de près les défenseurs officieux saluaient avec joie la résurrection de ce vieil ordre des avocats, qui reprenait sa place naturellement et sans secousse au milieu d’un monde nouveau. Nul ne s’étonnait de le voir reparaître avec ses vieux usages, avec ses antiques traditions, dont on comprenait désormais la sagesse et l’utilité. Instruits par une dure expérience, nos arrière-grands-pères s’étaient aperçus que les prétendus privilèges de l’ordre des avocats ne sont que des garanties assurées aux plaideurs et à la société… Espérons que leurs petits-fils n’auront pas besoin, pour le comprendre, de faire personnellement connaissance avec les défenseurs officieux !


J. DELOM DE MEZERAC.