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quotidiennement usurpé par des gens dont les occupations n’ont qu’un rapport lointain ou même aucun rapport avec ce qui est l’objet propre et le but de cette carrière ; la seconde, c’est que l’infinie variété des objets auxquels elle s’applique en rend la parfaite compréhension très difficile : alors que le médecin, l’avocat, l’ingénieur n’ont besoin que d’une somme de connaissances définie, le banquier peut être amené à étudier les entreprises les plus variées, les questions les plus dissemblables. S’il est sollicité par un gouvernement de prendre les titres d’un emprunt, il devra se faire homme d’État et juger à la fois les ressources du pays, les élémens de ses revenus, sa politique même, puisque la valeur du gage augmentera ou diminuera selon la sagesse ou l’imprudence des souverains, des ministres ou des parlemens responsables de la conduite de la nation. Qu’il s’agisse de fournir à un chemin de fer les capitaux nécessaires à la construction, le banquier devra se faire à la fois entrepreneur et ingénieur pour évaluer le coût de la ligne, économiste pour supputer le trafic probable des contrées traversées. Si c’est une usine qui doit se créer, toutes les questions de premier établissement, de main-d’œuvre, de prix de revient, de débouchés devront être examinées et résolues, — qu’une compagnie d’assurances se fonde, rien de ce qui concerne la fixation des tarifs, des tables de mortalité, ne devra être laissé de côté. Cette énumération pourrait être développée pendant des pages. On nous objectera que pour chacun de ces cas le banquier peut et doit se faire assister par des gens du métier, dont la compétence technique facilitera sa tâche et lui permettra de prendre ses résolutions en pleine connaissance de cause, mais le choix des hommes est aussi malaisé que l’étude des choses, — Et encore faut-il n’être pas soi-même étranger aux objets sur lesquels on recueille les avis d’autrui. Cette multiplicité d’aptitudes est telle que l’homme vraiment capable d’être un parfait banquier est, nous ne craignons pas de le dire, un de ceux qui méritent d’occuper les échelons les plus élevés de la hiérarchie intellectuelle.

Comme il y a une modestie pour les nations aussi bien que pour les individus, nous ne chercherons pas en France des exemples qu’il nous serait aisé de citer. Nous nous bornerons à demander à nos lecteurs si l’œuvre d’hommes comme Ricardo, qui fut un des plus grands économistes du siècle, comme sir George Goschen, chancelier de l’échiquier dans le dernier cabinet conservateur-unioniste, sir John Lubbock, dont les écrits philosophiques révèlent une si profonde connaissance du cœur humain, ne démontre pas d’une façon péremptoire à quelle hauteur de conception,