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et ça c’est beaucoup dire. Je crois qu’il fera son chemin, continua le père ravi d’avoir éveillé tant de joie dans les yeux de sa fille. — Il est encore jeune, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il ait déjà achevé ses études, son droit et le reste. Soyez sûre que le vieux fera de son mieux pour vous lancer… de son mieux… Si vous êtes décidée… C’est assez pour moi, voyez-vous, si vous êtes vraiment décidée, et que vous ne croyiez pas qu’il vaille mieux attendre encore un peu. Il aurait pu étudier ici un an d’abord, sans perdre de temps… Non ?.. Bien, comme tu voudras. Je serai là quand vous aurez besoin de moi. Je vais me mettre à travailler pour faire ce qui est possible. Peut-être bien que nous pourrons vendre et nous en aller dans l’Est aussi. La ferme vaut de l’argent, maintenant que tout est colonisé là autour. Et la mère, et Jake et moi nous pourrions nous tirer d’affaire, je pense, à l’Est comme à l’Ouest. J’en sais plus long que je n’en savais quand je me suis établi ici. Je suis content que vous m’ayez parlé. Je pense du bien de lui cent fois plus qu’auparavant. Il faut qu’il vaille beaucoup, celui que vous aimez, Lou. De toute manière, il a de la chance.

Et il caressait la robe chiffonnée de la jeune fille gauchement, mais avec une tendresse infinie.

— Il faut que je m’en aille maintenant, père, s’écria-t-elle, se rappelant l’heure, tout à coup. Mais tenez ! — Elle l’embrassa encore. — Vous m’avez rendue bien heureuse. Il faut que je m’en aille, et puis vous avez toute votre besogne à faire, de sorte que je ne vous retiendrai pas davantage.

En parlant, elle se dirigeait vers la route par laquelle Jake devait revenir avec des nouvelles du combat. Quand elle atteignit le haut de la butte, d’où le chemin descend rapidement jusqu’au creek, personne n’était en vue. Elle s’assit et s’abandonna à une douce rêverie.

— Il aura tout ce qu’il lui faut et il l’aura par moi, — Tel était le thème de ses pensées, interrompues de temps à autre par un coup d’œil rapide qu’elle jetait au bas de la route. Enfin, à quelque cent mètres au-dessous, elle vit accourir son frère.

Il avait retiré ses chaussures et ses bas, qui étaient passés autour de son cou ; ses pieds nus battaient la poussière épaisse et blanche du chemin tracé à travers la prairie. La précipitation de Jake provoqua, elle ne sut pas bien pourquoi, chez Lou, une palpitation violente et angoissée. Descendant la colline, elle se hâta de gagner le creek et rencontra son frère sur le pont.

— Eh bien ? demanda-t-elle tranquillement.

Mais la couleur montait à ses joues et s’en effaçait aussitôt ; Jake n’était pas un gars à se laisser tromper.