Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh bien, quoi ? demanda-t-il effrontément, tout en reprenant haleine. Je n’ai rien dit.

— Prenez garde, polisson ! répliqua sa sœur. Je ne viendrai plus jamais à votre secours quand papa voudra vous fouetter, jamais ! Dites-moi tout de suite ce qui est arrivé. A-t-il du mal ?

— Qui ? demanda le gamin s’enorgueillissant de la supériorité que lui donnait son savoir, et tout au plaisir de taquiner.

— Dépêchez-vous ! dit la sœur en le prenant au collet, dans son exaspération, parlez, ou bien…

— Je ne dirai rien jusqu’à ce que vous m’ayez lâché, répondit Jake d’un ton boudeur. — Mais il ne put résister davantage au torrent qui ne demandait qu’à sortir, et avec volubilité :

— Oh ! Lou ! j’ai tout vu ! Ç’a été une rude bataille. Ils étaient tous là, Seth Stevens, Richards, Bill le singe, tous, quand le maître d’école est arrivé en voiture. Il était tranquille, il avait l’air qu’il a quand il veut qu’on récite en classe. Il a attaché Peler, et il est venu à eux, en levant son chapeau. Oh ! c’était fièrement chic, je vous en réponds ! Et puis, ils ont ôté leurs habits. Stevens avait déjà flanqué les siens par terre, mais le maître d’école se tenait à part, et il a plié ses affaires comme maman me fait plier les miennes pour la nuit. Alors ils se sont rapprochés, et Seth Stevens tâchait de lui flanquer un coup, un bon, mais le maître d’école s’est dérobé et l’a frappé sur le nez, et il fallait voir Seth assis par terre avec le sang qui lui coulait… Et… et… ma foi, c’est tout. Chaque fois que Seth Stevens essayait de cogner, le maître d’école arrivait avant lui. Ce que c’était drôle ! Et puis voilà ! Et j’ai tout vu. Parions que j’ai tout vu !.. Et puis, quand Richards et les autres sont venus lui dire que Stevens se trouvait mal, le maître d’école a couru à la rivière et il a rapporté de l’eau pour en jeter sur lui. Et j’ai couru vous dire tout ça. Il est fort, le maître d’école, va, plus fort que papa même. Je l’ai vu mettre sa veste, et Stevens était assis, la figure tout en sang et en eau qui ruisselaient. Il avait une fichue mine. Mais, Lou,.. dis donc, Lou, pourquoi donc que le maître d’école, quand il l’a eu mis à bas la première fois, ne lui a pas sauté sur la figure à coups de talons ? Il avait des bottes. Et c’est comme ça que Seth Stevens a cassé la mâchoire à Tom Crocker quand ils se sont battus.

Lou était blanche et tremblait des pieds à la tête, tandis que le gamin achevait son récit en la regardant d’un air interrogateur. Elle ne pouvait répondre. À peine avait-elle entendu sa question. L’idée de ce qui aurait pu arriver à Bancroft l’accablait ; la terreur et le remords lui tenaillaient le cœur. Oh ! quand