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— Oui.

— Et elles sont toujours bonnes ! Oh ! George, j’ai trop de chagrin, et maintenant… maintenant, oh ! je suis si contente !

La jeune fille fondit en larmes. De son mieux George la consola. Il comprenait aussi peu cette nouvelle manière d’être qu’il avait compris sa provocation d’amour ; il n’était point en sympathie avec elle. Elle lui semblait appartenir à une race différente. Quelque soupçon de cet éloignement effleura sans doute la jeune fille, ou bien peut-être fut-elle irritée par son acquiescement silencieux à ses diverses phases d’humilité, car tout à coup elle chassa les larmes de ses yeux et, glissant hors des bras qui la retenaient, dit d’un air de défi :

— Écoutez bien, George Bancroft ! J’apprendrai tout ce qu’elles savent, le piano et le reste. Je le peux et je le ferai ! Je commencerai tout de suite, vous verrez !

Et les yeux bleus étincelaient avec l’éclat de l’acier, et le buste était rejeté en arrière avec une orgueilleuse assurance.

Bancroft la regardait curieusement ; ces brusques voltes d’humeur l’étonnaient. Les jugemens sévères qu’il avait portés sur elle, la résolution prise une bonne fois de ne plus se laisser entraîner par sa beauté, pesaient sur lui ; il remarqua la dureté perçante du regard et sentit qu’elle lui déplaisait, peut-être par esprit d’antagonisme.

Après quelques phrases de nature à l’apaiser et qui, bien qu’elles eussent jailli de l’esprit plutôt que du cœur, semblèrent atteindre leur but, Bancroft, pour changer de sujet, demanda, en indiquant un champ de l’autre côté de la rivière :

— À qui appartient ce maïs ?

— À mon père !

— Je me figurais que c’était là le territoire indien.

— Et ça l’est aussi !

— Est-ce qu’on a le droit d’y semer du maïs et de palissader le champ ? Les Indiens n’y font-ils pas d’opposition ?

— Il ne ferait pas bon pour les Indiens par ici, répondit Lou négligemment. Je n’en ai jamais vu un seul. Ça doit être permis. De toute façon le maïs y est, et mon père va le couper bientôt.

Entre eux pas une pensée en commun ! Cette fille ne se souciait même pas des vilenies commises par les siens. Bancroft se dirigea, sans plus causer, vers la maison, et elle le suivit, déçue et humiliée, toujours sans comprendre pourquoi. De cet état d’esprit elle passa bientôt à une révolte orgueilleuse. Elle savait bien que d’autres hommes faisaient cas d’elle, et avec cette certitude Lou tâcha de se consoler.