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reconnu que cette fine poussière répandue sur le grain et à laquelle il doit cet aspect velouté caractéristique des grappes saines et mûres, renferme une grande variété de ces petits êtres ; les uns agissent comme nous l’avons dit, mais avec une énergie, une promptitude très inégale, suivant l’espèce ; d’autres produisent des effets différens, mais ne sont pas nuisibles ; d’autres, s’ils prennent le dessus, provoquent dans le vin nouveau de fâcheuses maladies, comme le mycoderma aceti, pour ne citer que celui-là qui est la cause de l’acescence ou de l’aigrissement. D’où provient la supériorité de tel cru, de tel cépage, par rapport à tel autre produit d’un sol ou d’une variété de raisins presque identiques ? Autrefois on croyait qu’il s’agissait simplement d’une question de chance ou de hasard. La science moderne est plus ambitieuse ; elle croit pouvoir expliquer ce fait par une cause bien simple. Les vins de choix, dit-elle, doivent leur qualité à l’heureux équilibre qui s’établit entre les micro-organismes au moment de la fermentation : absence d’agens nuisibles, faible développement des organismes à action neutre, envahissement général par les bonnes levures qui ont rencontré des circonstances favorables.

Prenez une levure de cette dernière catégorie, isolez-la en la fortifiant par une culture rationnelle, et, au moment voulu, après l’avoir conservée d’une année à l’autre, toutes opérations qui n’offrent aucune difficulté, projetez-la sur une quantité raisonnable de vendange fraîche. La levure adulte, plus vigoureuse, mieux nourrie, prendra le dessus et se propagera, tout en s’opposant au développement des spores de levure naturelles au raisin sur lequel on opère et qui n’ont pas eu le temps de se développer. On peut même, pour plus de précaution, « stériliser » à l’avance le moût qu’on ajoute à la levure de façon à détruire tous les germes, quelle que soit leur nature. Si l’on a opéré rationnellement, on aura ensemencé un assez fort volume de liquide, qui, ajouté à une nouvelle proportion de vendange, la transformera, comme il a été transformé lui-même, et ainsi de suite. Ainsi obtenu par l’influence presque exclusive d’un agent adroit et zélé, le vin gagnera en alcool et en qualité.

Mais on peut faire mieux. Puisque, dans les bons crus, la nature s’est chargée elle-même de combiner avantageusement les efforts d’un ou de plusieurs micro-organismes, il suffirait en théorie de choisir dans une cave renommée de la levure, d’en interrompre l’évolution, puis, l’année suivante, de la ranimer, de lui rendre vigueur et activité, et enfin de l’ajouter à un moût bien frais, fournissant spontanément une boisson médiocre, pour lui voir prendre franchement le dessus et, par son influence bienfaisante, produire, après cuvage, un vin très amélioré.