par des précautions sanitaires ou par le massacre des êtres contaminés, comme on sauve un vignoble en arrachant une vigne envahie par le phylloxéra. « Si, du reste, les intérêts temporels sont peu de chose au prix du bien spirituel, on ne saurait assigner de limite aux mesures de répression qu’un chef orthodoxe peut juger nécessaire d’ordonner. Mieux vaut le désert qu’un jardin cultivé par des mains hérétiques ; mieux vaut un petit peuple de fidèles ignorans et misérables, qu’une foule prospère en apparence, assise à l’ombre mortelle de l’erreur et sous le coup d’une sentence éternelle. L’extermination devient une mesure de pitié ; savez-vous combien d’âmes tuera l’hérétique que vous épargnez ? »
Mais une police sanitaire qui aboutit à des exterminations ne peut être longtemps appliquée dans toute sa rigueur. La conscience des juges s’inquiète, la main du bourreau se lasse, et les souverains reculent devant les sacrifices que leur impose un système préventif qui dépeuple leurs États. L’Espagne est le seul pays où l’on ait appliqué la politique d’extermination avec assez de persévérance pour lui faire produire tous ses résultats. Dans le reste de l’Europe, on ne tarda pas à s’en dégoûter, on renonça bientôt à extirper les hérétiques par le fer et le feu, on se relâcha de son droit, on s’adoucit et on adopta ce que sir Fr. Pollock appelle « le régime de la persécution tracassière ou mitigée, » qu’il compare aux antiques formalités de la quarantaine ou au mécanisme de la législation protectionniste. Protestans ou catholiques, les princes souffrirent qu’un certain nombre de leurs sujets ne reconnussent pas la religion dominante. Pour massacrer et exterminer, il faut être convaincu que la vraie foi est nécessaire au salut des individus ; à la longue, on se prend à en douter, ou du moins ce n’est plus qu’une opinion probable, et il paraît grave de tuer un homme pour une opinion probable. Dès lors, la persécution se borne à des peines civiles et modérées. On refuse à l’hérétique certains droits, certains avantages de la vie sociale ; on le traite en demi-citoyen, en mineur, on lui donne des dégoûts pour lui faire prendre son hérésie en déplaisance, mais on le laisse vivre.
Le point de vue a changé ; il ne s’agit plus du salut des âmes, mais du danger que certaines doctrines, quand elles se répandent, peuvent faire courir à la société, et on en revient ainsi à la persécution politico-religieuse, telle que l’a connue et pratiquée l’antiquité polythéiste. Le système de la contrainte limitée repose sur le principe que certaines croyances ou un minimum de croyances sont nécessaires au maintien de l’ordre social, que s’il est permis aux particuliers de rejeter tel point de doctrine et de le discuter avec leurs amis, il leur est interdit d’attaquer ouvertement les opinions reçues. En Angleterre, ce système a été nettement formulé dans un acte de Guillaume III, interdisant « d’écrire, imprimer, enseigner ou parler délibérément contre les croyances