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communes. » Il est dit dans le préambule que beaucoup de gens se sont permis de « professer et propager des opinions impies, contraires aux principes et doctrines de la religion chrétienne, que ces opinions tendent à déconsidérer le Tout-Puissant et peuvent détruire la paix et la prospérité du royaume. « La conclusion est « que toute personne qui, par écrits ou discours, niera la Trinité divine, ou affirmera qu’il y a plus d’un Dieu, ou contestera la vérité de la religion chrétienne, ou soutiendra que les saintes Écritures ne sont pas d’autorité divine, sera, sur la déposition authentique de deux témoins, déclarée la première fois incapable de remplir aucune fonction publique, et la seconde fois encourra des incapacités civiles définitives, avec un emprisonnement de trois ans. » Ce qui était naguère un crime n’est plus qu’un délit, et celui qui commet ce délit ne risque plus d’être brûlé, il n’est passible que d’emprisonnement.

Autres temps, autres mœurs. L’acte de Guillaume III parut bientôt trop sévère ; il ne fut que rarement appliqué, tomba en désuétude, et les écrivains déistes du XVIIIe siècle purent avancer plus d’une proposition téméraire sans être inquiétés ni molestés. Mais l’Angleterre est un pays où les lois sont immortelles, et le statut subsistait toujours. Lorsque au commencement de ce siècle on eut acquis la conviction que les unitaires ne mettaient point en danger « la paix et la prospérité du royaume, » que cette secte se recrutait parmi des gens de mœurs réglées et fort entendus aux affaires, on abrogea à leur profit les peines portées contre les mécréans qui nient le dogme de la Trinité. On croira sans peine qu’aujourd’hui tout Anglais est libre de penser tout ce qu’il lui plaît et de dire à peu près tout ce qu’il pense. Le projet de code criminel de 1878-1879 autorisait la poursuite des pamphlets blasphématoires ; mais on n’eut garde de donner une définition en forme de ce genre de littérature. Il y a dix ans, un procès fut intenté aux sieurs Ramsay et Tool pour délit d’outrage contre les vérités de la foi. Le chief-justice, lord Coleridge, déclara que « pourvu qu’en discutant on observe les convenances, il est permis d’attaquer jusqu’aux dogmes fondamentaux de la religion sans se rendre coupable de libelle blasphématoire. » Jadis on poursuivait l’hérésie pour l’empêcher d’empoisonner les âmes ; plus tard on s’occupa de défendre l’État contre des opinions qui semblaient dangereuses ; désormais la seule obligation imposée aux impies est le respect des convenances. Qu’en auraient pensé Philippe II et Guillaume III lui-même ?

Comme le régime de la persécution théologique, le système de la contrainte mitigée a aujourd’hui beaucoup moins d’adhérens que d’adversaires. Comment expliquer cette révolution et pourquoi les sociétés ont-elles abandonné « la bonne vieille règle de l’intolérance ? » Sir Fr. Pollock en donne deux raisons. Les gouvernemens, nous dit-il, ont fini par se convaincre que les opinions dangereuses le sont moins-