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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/711

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jusque dans les théories de Rousseau, il enseigne dans son Contrat social qu’il y a une profession de foi déiste et purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles. Quiconque les rejette ne saurait être ni bon citoyen ni sujet fidèle, et mérite d’être banni ; quiconque affecte de les admettre et se conduit comme ne les croyant pas mérite d’être puni de mort.

Ce qu’il y a d’intéressant dans cette déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont sir Fr. Pollock par le avec tant de mépris, c’est qu’elle eut le caractère d’une insurrection contre l’antique doctrine de la souveraineté. Elle fut un signe des temps, elle a marqué une étape dans l’évolution politique de l’Europe. Elle témoigne qu’un grand changement s’est opéré dans l’idée que l’individu se fait de lui-même et de ses rapports avec l’État, qu’il refuse désormais de se laisser absorber par la société et l’oblige à compter avec lui, qu’il y a une portion de sa vie qu’il entend soustraire aux décisions et aux caprices du législateur, et parmi les libertés qu’il se réserve comme un bien inaliénable, la plus précieuse est la liberté de croire ou de ne pas croire ; ne touchez pas à sa conscience, elle ne reconnaît que lui pour souverain. Les nations n’ont pas toutes proclamé ces droits, mais elles sont toutes prêtes à les revendiquer, et traduits en anglais, ils sont inscrits dans le cœur de tout citoyen de la Grande-Bretagne. Le statut de Guillaume III est toujours en vigueur, mais sir Fr. Pollock convient que l’opinion publique ne permet pas de l’appliquer. Après cela, libre à lui de soutenir que l’omnipotence du parlement est illimitée ; comme le contrat primitif inventé par Rousseau, cette omnipotence n’est qu’une vaine fiction. Qu’est-ce qu’une puissance dont on est résolu à ne pas se servir ? On ne peut vraiment que ce qu’on peut vouloir.

Les hommes ont un penchant naturel à regarder comme des coquins ceux qui ne pensent pas comme eux ; mais ce penchant, longtemps encouragé par les lois, est aujourd’hui combattu par elles, et voilà la différence des temps. Jéhovah pouvait pardonner l’adultère et l’assassinat ; pactiser ou composer avec les idoles était à ses yeux le seul crime irrémissible. Naguère encore, les hommes d’État pensaient que l’intolérance est une garantie d’ordre et de paix ; par une évolution naturelle, les gouvernemens en sont venus à la considérer comme la pire ennemie de la tranquillité publique. Avancer que la tolérance est une vertu civile fut jadis un paradoxe et n’est plus qu’un lieu-commun ; mais c’est le cas de dire, avec un homme d’esprit, qu’on ne doit pas se moquer des lieux-communs, ni les mépriser ; car il faut des siècles pour en faire un.


G. VALBERT.