Quant au nouveau candidat, sa besogne est bien simple : il n’a qu’à blâmer indistinctement tous les actes de celui qu’il désire remplacer : ce n’est pas là ce qu’il fallait faire ; ou bien ce n’était pas le moment de le faire ; ou encore l’on aurait dû faire bien davantage, ou le faire tout autrement. En même temps commencent les attaques réciproques par la voie de la presse ; attaques d’abord courtoises ou du moins modérées. On y répondra de part et d’autre, dans une dizaine de jours, par de nouvelles affiches dont le ton sera plus vif ; et les circulaires se succéderont, plus ou moins nombreuses, plus ou moins aigres, selon la chaleur de la lutte, jusqu’à ces placards destinés à la journée du vote, — « Un dernier mot, » — Dont on couvrira le 20 août, à l’aube naissante, pour que l’adversaire n’ait pas le temps de répliquer, les surfaces lisses qui avoisinent le lieu du scrutin, dans les trente-six mille communes de France. C’est dans ces appels de l’heure suprême, écrits en phrases hachées où les rivaux jouent leurs derniers argumens, que l’on prodigue les plus ingénieuses combinaisons typographiques, et aussi, malheureusement, les plus gros mots du dictionnaire.
Mais chacun sait ce qu’il en faut croire et que ces énormes injures signifient simplement quelque divergence d’opinion. Les électeurs lisent placidement et votent de même, n’ignorant pas que cette prose de circonstance est la rançon de la liberté. De fait, ces quinze ou dix-huit cents candidats qui vont se traiter si mal et se prodiguer de fort vilaines épithètes, pour obtenir un des six cents sièges de la chambre, sont les meilleurs enfans du monde. Il y en a bien peu parmi eux qui verraient pendre leur prochain avec plaisir. Depuis longtemps, en effet, la situation politique de la France n’avait pas été aussi calme, et les élections avaient soulevé moins de passions sérieuses. Cette année, comme l’a dit très justement M. Casimir Perier dans son discours de congé, c’est au milieu de la paix et en présence des partis désarmés que la nation va exprimer sa volonté. Ce conflit pacifique des partis hostiles, auquel nous allons assister, n’est-ce pas la vie normale d’un peuple libre ? Cette agitation, que des esprits superficiels prennent pour du désordre, pourrait-elle être évitée autrement qu’en déchargeant les citoyens de toute responsabilité, en les condamnant à une minorité perpétuelle ?
Frappés aujourd’hui chez nous de l’état d’énervement du principe d’autorité, auquel la peur de l’absolutisme nous a conduits depuis la chute de l’empire, nous sommes tentés parfois de douter de la vertu du régime parlementaire, surtout en présence de l’Europe actuelle, où précisément trois souverains absolus, le tsar, le pape et le sultan, discrets dans l’omnipotence, tirent si bien parti de leur autocratie et mènent très adroitement leurs affaires temporelles et spirituelles. Seulement la vertu de ces trois gouvernemens réside tout entière dans trois hommes, et qui peut répondre de son successeur ? Chez nous, l’absence d’une majorité homogène et stable dans sa docilité a jusqu’ici