Palladio, avec son Palais du conseil, si léger sur deux rangs d’arcades, son hôtel de ville, sa tour rouge, qu’on dirait apportée de Venise, et ses deux colonnes avec le lion ailé de saint Marc. Il y avait là un peu plus de lumière et d’animation qu’ailleurs. C’était le jour des élections. Dans les salles hautes du palazzo della ragione, on proclamait les résultats du vote, et les rumeurs ou les applaudissemens de la foule invisible se répandaient par momens dans l’espace à peu près désert, baigné de clarté molle, où nous nous promenions, le sénateur L., le poète Antonio Fogazzaro et moi.
Quiconque n’a pas goûté l’hospitalité italienne fera bien d’en essayer avant de porter un jugement sur nos voisins. Elle est particulièrement cordiale et empressée. Elle forme un des traits, et non des moins sympathiques, de leur caractère national. Les Italiens y mettent un point d’honneur. Comme me le disait un Florentin, ils se savent et ils se sentent les héritiers d’une très ancienne race, habituée à recevoir la visite des étrangers de toute nation, et puis ils tiennent extrêmement à faire connaître, admirer, aimer le coin de pays où ils habitent.
Oh ! cette affection pour le foyer, pour la ville natale, cet orgueil du passé local, ce culte religieux pour les grands hommes et les œuvres d’art des petits pays à peine mentionnés dans les guides, et rarement cités dans l’histoire, comme ils sont vivans, comme on les rencontre partout, comme ils sont puissans sur le cœur des hommes ! Voyez Fogazzaro. Il a écrit sept ou huit volumes de vers, de nouvelles, ou de romans. Il est illustre en Italie. Ses ouvrages ont été traduits en allemand, en anglais, en suédois, on hollandais, en russe. Son Daniele Cortis, touffu, éloquent, plein d’observation, peut être cité comme une des œuvres les plus remarquables de la littérature italienne contemporaine. Le Mystère d’un poète a paru en français, il y a quelques mois, chez Perrin. Eh bien, lui qui trouverait un monde plus littéraire, des admirateurs, des élémens nombreux de travail et de succès dans les grandes villes, il ne voyage guère, il demeure et veut demeurer à Vicence ou dans les environs de Vicence, parmi les Colli Berici d’où la vue est exquise sur les campagnes blondes. À le voir, grand et vigoureux, drapé dans son manteau brun, coiffé du chapeau à larges bords fendu au milieu, un bon sourire errant sous ses fortes moustaches grisonnantes, on le prendrait pour un gentilhomme campagnard. Il en a les goûts. On lui a proposé la députation, sans qu’il ait jamais consenti à laisser voter sur son nom. Mais les petites charges municipales lui plaisent. Il en remplit une demi-douzaine avec amour, préside des académies, administre les biens de la congrégation de charité, s’abandonne aux délices solitaires de la théorie de l’évolution, jusqu’à en négliger les lettres, et quand je m’étonne, il me