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souffrant à la chambre qu’un petit nombre d’adversaires, furent contraints de reconnaître leur impuissance et n’osèrent même pas affronter la lutte. M. Rislitch, l’ancien régent, ayant décidé l’abstention de ses partisans, sous le prétexte que les libéraux devaient en ce moment éviter tout conflit, la nouvelle Skouptchina ne s’est composée que de 119 radicaux et de 11 progressistes contre un seul membre du parti libéral.

Jusqu’à ces derniers temps, le ministère et la quasi-unanimité de la chambre, fermement unis, avaient fait un judicieux usage de leur pouvoir. Le rappel de la reine Nathalie, qui avait eu d’ailleurs le bon sens de n’en point profiter et de se contenter de la réparation honorable à laquelle elle avait droit, la suppression de la censure sur les journaux, l’éloignement de M. Paschitch, président de l’ancien cabinet radical, qui représentait les doctrines exagérées du pan-serbianisme, et que l’on avait pourvu de la légation de Saint-Pétersbourg, tous ces actes du cabinet Dobritch indiquaient l’intention de suivre, à l’intérieur comme à l’extérieur, une ligne prudente et réservée. Les rancunes de la chambre actuelle n’ont pas permis d’y persévérer ! Lorsqu’un journal radical de Belgrade lança cette idée des poursuites contre l’ancien ministère, même lorsque la Skouptchina, dans son adresse en réponse au discours du trône, émit un vœu dans ce sens, on pouvait supposer que la jeune Serbie ne suivrait pas ses aînées de l’Occident dans des erremens qui rappellent les heures tristes de leur vie nationale, et qu’elle n’ouvrirait pas, en reprenant possession d’elle-même, une ère de haines indéfinies.

Cependant plus de 100 membres, sur 134, se sont prononcés pour cette mesure. Vainement M. Garachanine, l’un des anciens proscrits de cette dictature que l’on poursuit, qui ne passe pas au demeurant pour une âme ultra-sentimentale, a montré que la raison d’État, invoquée par les radicaux, loin de commander des représailles, imposait au contraire, dans l’intérêt de la paix publique, l’oubli mutuel des fautes commises ; la chambre a nommé une commission de douze membres, chargée de diriger le procès et dont le premier acte a été de consigner dans leur demeure chacun des ministres incriminés. Quant au cabinet actuel, il paraît aujourd’hui déterminé à s’opposer à l’action directe de la commission contre les ministres, il menace de démissionner et le roi le soutient dans une résistance que nous serons heureux de voir persister. La juridiction exceptionnelle que l’on prépare en effet, la qualité des prévenus, qui ont agi au nom et en vertu de l’autorité royale elle-même, représentée alors par la régence, la situation inextricable où la justice et la légalité apparente vont se trouver face à face, tout concourt à créer une procédure révolutionnaire que les maîtres d’aujourd’hui peuvent avoir à regretter un jour.


Vte G. d’AVENEL.