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comme d’autres qui avaient mal tourné, radical ou home-ruler il aurait compris l’ostracisme dont on le frappait. Mais quand on avait, comme lui, toujours professé les plus purs principes du conservatisme, refusé toute transaction sur les choses les plus sacrées, il y avait lieu de s’affliger de l’iniquité des hommes. Ce n’était pas lui qu’on aurait pu accuser, par exemple, de frayer avec les sectes dissidentes, de réserver ses générosités pour d’autres personnages que les ministres de la religion officielle. Deux fois, le dimanche, il occupait régulièrement son banc à l’église, se refusait à prendre la moindre distraction le jour du Seigneur, blâmait en termes solennels les sacrilèges qui jouaient au tennis entre deux murs clos. Une bouteille de port-wine deux tout au plus, vidées entre amis intimes, c’était bien là tout ce qu’il se permettait. Tory, oui, certes, il l’était, jusqu’à trouver souvent le Premier trop tiède. Questions extérieures ou intérieures, il parlait de tout, en homme sûr de soi, avec une intarissable faconde. Et quand il pérorait ainsi pendant des heures, ses amis l’applaudissaient, déploraient avec lui l’injustice du pouvoir qui tenait obstinément dans l’ombre ses plus dévoués serviteurs. Et on rêvait de réparations éclatantes.

Tout s’y prêtait, et ce soir-là, à l’heure où commence ce récit, M. Richard Winterbottom le démontra avec son éloquence accoutumée. On était à une époque troublée où l’Angleterre hésitante voyait devant elle deux voies ouvertes. L’une, la vieille route, déjà foulée par d’innombrables générations, était la plus sûre, celle qu’avaient suivie les chefs de tout ordre qui avaient fait du pays l’un des plus forts et des plus prospères. Le peuple s’y était engagé après eux, docile à leur voix, fidèle, malgré d’intermittens égaremens, aux leçons de l’histoire et aux préceptes du passé. Ce qu’il en avait coûté à la Grande-Bretagne de prêter l’oreille aux libéraux, tout le monde le savait, Richard surtout. Il parlait avec une emphase impressionnante des malheurs qui accableraient la nation si elle se laissait violer une fois de plus par la décevante éloquence d’un vieillard de quatre-vingts ans. Une fraction du pays deviendrait autonome, légiférerait pour son compte ou à peu près, et déjà séparée par la distance, se désintéresserait de plus en plus de l’Angleterre. Il montrait le pays affaibli, démembré, et bien qu’à ses yeux l’habitant d’Erin ne valût pas grand’chose, il l’injuriait de vouloir partir et s’indignait qu’ayant l’honneur d’être Anglais, il songeât à s’éloigner de l’empire, au lieu de tenter de s’en rapprocher. Et que penser de cette idée singulière qu’il était injuste qu’un électeur disposât de deux votes ? Alors, les riches n’étaient plus les riches ? Froissé dans son amour-propre, dépouillé, non