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la chambre conjugale, recommençait son plaidoyer avec plus d’ardeur que jamais. À deux heures du matin, Cook fut conquis, et, quand les époux s’endormirent, la grande résolution était prise.

Charlie, le lendemain, remercia sa femme. Il ne comprenait pas comment il avait pu hésiter. L’aventure lui plaisait parce qu’elle flattait ses instincts, son goût de l’étrange et de l’imprévu. Il s’habilla et expédia son breakfast à la hâte, courut au club libéral où l’agitation était à son comble. Il y comptait de nombreux camarades avec lesquels ses relations restaient les mêmes, quoiqu’il fût au service d’un adversaire. D’ailleurs, il n’avait jamais professé d’opinion tranchée ; l’eût-il fait, il ne se fût point aliéné les sympathies, car en Angleterre, — heureux pays ! — il est rare que les dissentimens politiques engendrent la brouille et la discorde. Il ne rencontra que figures consternées. On s’abordait, on se demandait s’il serait possible de découvrir un candidat, et si la mort de sir Francis, en désorganisant le parti, n’assurerait pas la victoire tranquille de Winterbottom. Cook n’hésita pas à dévoiler ses desseins. Quand, après un court préambule, il joua, comme on dit, cartes sur table et annonça qu’il se présentait contre son patron, les groupes qui l’entouraient s’esclaffèrent. L’idée fut trouvée si drôle qu’elle obtint, par cela même, un succès fou. Cependant on ne pouvait accepter sa candidature sur une simple déclaration. Il dut subir un examen auquel il se prêta de fort bonne grâce. Il promit tout ce qu’on voulut, s’engagea à voter tout ce que M. Gladstone proposerait, à se ranger, en un mot, parmi les fervens de la bannière libérale. Vif et intelligent, il le fut comme d’habitude. Pourquoi donc ne l’aurait-on pas accepté ? En un clin d’œil, tout s’arrangea. Des télégrammes furent lancés à Londres, on accomplit les formalités nécessaires. La première consista à fournir au returning officer la preuve officielle de la mort du baronnet. Celui-ci recula le poll de quelques jours, comme la loi le lui prescrivait.

Ainsi tout marchait à souhait de ce côté-là. Fort de l’appui qui lui était accordé, Cook, au sortir du club, fit quelques pas dans une direction bien connue de lui, s’arrêta, rétrograda et réfléchit au milieu de la rue, le front penché, l’attitude irrésolue. Mais il n’était pas de ceux qui tergiversent. Relevant la tête, il héla un hansom, donna l’adresse de la villa Winterbottom. Une demi-heure après, il sonnait à la grille des Towers, et en attendant qu’on lui ouvrît, s’applaudissait in petto de sa décision et de sa vigueur. Il jugeait qu’il était préférable d’attaquer la bête par les cornes, c’est-à-dire de communiquer à Richard les événemens de la matinée. Puisqu’il les apprendrait infailliblement, autant valait, n’est-ce pas ?