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et traditions d’antan s’en vont dans le grand ossuaire de l’histoire, le scepticisme les dépouille de leur personnalité, et l’on commence à dédaigner ces belles fictions que seuls les vieillards répètent encore aux curieux ! Mais la légende ne serait-elle pas immortelle ? Ne reparaîtra-t elle pas sous d’autres formes, puisqu’elle semble une nécessité organique de l’humanité morale, puisque l’univers n’est pas seulement une cuisine et une étable, mais aussi un temple et une prière ? Et pour s’évader de cette prison du monde réel, où les plus positifs étouffent parfois, ne faut-il pas offrir à la pensée des alimens, lui apporter des occasions de se divertir ou de s’exalter ?

À tout seigneur tout honneur ! Nous voici à Besançon, la « vieille ville espagnole, » d’abord gauloise, romaine et bourguignonne, la cité impériale qui vit passer tant de Césars et de porte-couronnes. C’est la fille bien gardée, avec son diadème de montagnes crénelées de forteresses qui regardent l’ennemi ; elle, ramassée en quelque sorte au fond de la vallée, montrant au voyageur son fleuve, sa cathédrale, ses monumens et ses rues étroites qui éveillent mille souvenirs. Si les Roses aux chaperons rappellent un peu le mythe de la forêt qui se met en marche dans Macbeth, le Testament du faux d’Ancier, d’où serait sorti le lycée de Besançon, avec l’église qui l’avoisine, évoque la Farce de l’avocat Pathelin ou le Légataire universel. Si le bousbot ou vigneron de Battant regarde de travers ses princes-archevêques et leur donne beaucoup de fil à retordre, il fait aussi grise mine aux pères jésuites, admirables éducateurs, il daigne le reconnaître, mais de nature envahissante et adroitement accapareuse. Oyez plutôt le récit d’une supercherie perpétrée par eux en l’an de grâce 1626. Un vieux célibataire, le sire Gauthiot d’Ancier, faisant un voyage d’agrément à Rome, eut la malencontreuse idée de mourir subitement, sans avoir testé, dans la maison du grand Gésu. Désolation des jésuites qui avaient escompté son opulent héritage ; l’un d’eux, Comtois d’origine, fort au fait des hommes et des choses de son pays, s’avisa cependant que rien n’était perdu, si l’on corrigeait avec un peu d’adresse l’injuste destinée. Il communique son idée à ses frères, et, muni de leur approbation, se dirige à marches forcées vers la Comté, vient frapper à la porte d’un fermier de M. d’Ancier, qui avait nom Denis Euvrard. Alléché par ses promesses, le manant suit le père à Rome ; là seulement on lui annonce la mort. « C’est une grande perte pour vous et pour nous, ajoutent les jésuites ; son intention formelle était de vous laisser la grange de Montferrant et de léguer le reste de ses biens à nos pères de Besançon. » Lui de se lamenter ; une si belle ferme, avec de si