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dans la gravité de tant de redingotes à la propriétaire. On s’est avisé qu’il convenait, parmi tant de visages sévères, mélancoliques ou refrognés, d’en montrer quelques-uns de sourians. Sans cela, quelle raison y aurait-il de placer Chamfort parmi les écrivains de notre siècle ? à moins que nos gens d’esprit d’aujourd’hui ne se reconnaissent en lui. Et quelle raison d’y mettre Sedaine ? quoiqu’on ait coutume de faire de lui une manière d’ancêtre de nos modernes dramatistes et d’apercevoir une filiation entre l’art du Philosophe sans le savoir et celui de la Dame aux camélias. Aussi bien il est charmant, ce portrait de Sedaine par Chardin et nous serions fâchés qu’on ne l’eût point mis. On n’imagine pas plus de simplicité dans plus de coquetterie, ni plus d’élégance dans plus de laisser-aller. Sedaine commença par être tailleur de pierre et continua par composer des opéras-comiques. C’est ce dont le peintre s’est souvenu. Il lui a mis à la main un marteau. La veste s’ouvre sur une chemise de toile. Le chapeau de feutre rabattu fait tomber sur le haut de la figure une ombre dans laquelle on aperçoit sourire les yeux. Toute l’expression est douce, fine, spirituelle et un peu niaise. En face de lui, Marmontel, peint par Roslin, en veste de taffetas vert à jabot de matines, la tête coiffée d’un foulard mi-parti de vert et de rose. Le visage est épanoui de belle humeur et plus encore pétillant de gaîté vive, et comme allumé de plaisir. Ce n’est pas une page de Bélisaire, ni ce n’est une tirade d’Aristomène que lit Marmontel sur ce manuscrit déployé. Mais on voudrait que ce fût une de ces anecdotes dont plus tard il composera ses Mémoires, ces amusans Mémoires que cet étrange éducateur dédie à ses enfans et qui sont bien une des mines les plus riches en détails significatifs sur la vie sociale et surtout sur la vie littéraire au XVIIIe siècle. Les gens de lettres d’alors étaient les favoris d’une société. dont pourtant ils ne faisaient pas partie. Ils vivaient à côté et en marge. On leur passait toute sorte de libertés, et ils n’étaient pas soumis aux exigences qui font l’âpreté de la vie si elles en font la dignité. Ils étaient débraillés, insoucians, frivoles et cyniques. Cela explique que la vie leur ait été si légère.

Quelques portraits de l’époque révolutionnaire, ceux de l’abbé Grégoire et de Rabaut Saint-Étienne, ont surtout pour intérêt de nous rappeler quel admirable portraitiste fut Louis David. Il se peut qu’il n’ait aperçu l’antiquité qu’à travers des idées convenues et fausses ; mais en face des gens de son temps et placé devant le modèle vivant, il retrouvait toute la pénétration de son regard et la sûreté de son exécution. Ce grand art se perd après lui. Il faut faire une exception pour Ingres, qui est ici à peine représenté. Mais les portraits de Guérin et de Gérard, ceux de Paul Delaroche