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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/839

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et d’Ary Scheffer, encore qu’il y en ait de fort intéressans, sont bien superficiels. Ce sera l’honneur des peintres de notre temps d’avoir renouvelé l’art du portrait et reconquis du côté de l’observation et de l’exact sentiment de la réalité ce qu’ils ont perdu du côté de l’imagination. Il suffit, pour s’en rendre compte, de revoir cette merveille qui est le portrait d’About par Baudry, ou encore l’un de ces petits portraits de Bastion Lepage, d’un faire si serré. Mais le maître, incontestablement, et celui qui triomphe ici, c’est M. Bonnat. Il a une dizaine de toiles qui sont de la plus solide beauté. Au milieu des recherches, des complications, de l’emphase ou de la mièvrerie de tant d’autres portraits, les siens éclatent par la simplicité, la vigueur et une sorte de robuste bon sens. Ils se justifient, par eux-mêmes et par comparaison, de la plupart des reproches qu’on leur a adressés. Il y a bien des procédés et des systèmes pour faire le portrait d’un écrivain. Ils sont tous acceptables, moyennant certaines garanties, et réserve faite de telles fantaisies burlesques où se donne carrière le faux goût d’une époque. On peut faire de l’écrivain un a portrait composé » et nous le présenter dans son milieu d’habitude, dans le cabinet où il travaille, dans le salon où il cause ; cela toutefois pourvu qu’on évite de détourner notre attention sur l’accessoire et de l’amuser par le décor. On peut le mettre à sa table, afin de nous faire saisir, au moment qu’il écrit, le travail de sa pensée. On peut le surprendre en train de lire, afin de saisir dans son regard le reflet de la pensée d’autrui. M. Bonnat se contente de placer son personnage devant lui et d’en reproduire fidèlement la ressemblance : les traits s’enlèvent sur un fond neutre. Et ce procédé lui est commun avec tous les photographes. Mais c’est qu’il se défie de tout arrangement. Il a peur que l’homme de lettres ne lui fasse oublier l’homme. On lui reproche encore que ces portraits manquent d’idéal et qu’ils traduisent insuffisamment la vie intérieure. Or, cet idéal dont on parle, c’est précisément celui qu’on s’est fabriqué au cours d’une lecture. Si le personnage qui pose est un lettré ou un savant, et s’il a fait des drames ou des comédies, le peintre n’a rien à en savoir. Mais il a devant lui un individu dont le caractère physique est marqué par certains traits essentiels. Il les reproduit en y insistant. Il nous montre ainsi l’homme célèbre, non tel qu’on se l’imagine, ni tel qu’on voudrait qu’il fût, mais tel qu’il est. Cela sans doute est infiniment moins séduisant ; mais cela seul est vrai.

Les portraits de femmes sont ici les moins intéressans. Ils sont en petit nombre. Peu de femmes ; elles ont compris que ce n’était pas leur place ; et toute cette littérature ne les a pas tentées.