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prix des terres avec les moyennes de leur revenu, capitalisé suivant le taux ordinaire de l’époque.

Rien ne ressemble moins à un hectare de terre qu’un autre hectare de terre : l’enquête de 1884 fait ressortir, pour la France entière, une valeur moyenne de 1,785 francs ; mais, dans cette moyenne, se confondent de grandes inégalités, depuis le département du Nord où l’hectare vaut 5,374 francs, jusqu’à celui des Basses-Alpes où il ne vaut que 403 francs. Et ces prix départementaux sont pourtant des moyennes eux-mêmes, des moyennes prises sur environ 500,000 hectares de terre. Si des départemens on descend aux arrondissemens, les différences s’accusent davantage. La terre ne vaut que 238 francs l’hectare dans l’arrondissement de Castellane, elle vaut 6,700 francs dans celui de Valenciennes et 20,700 dans celui de Sceaux. Si l’on comparait ensemble les cantons et les communes, à plus forte raison les simples domaines, les variations extrêmes ne seraient plus de 1 à 100, mais de 1 à 1,000. Il y a aujourd’hui des hectares à 50 francs et des hectares à 50,000, sans sortir du terrain purement agricole. Certains vignobles de Champagne ont été vendus récemment sur le pied de 100,000 fr. l’hectare.

Les prix d’autrefois s’étageaient sur des échelles aussi vastes : entre 1226 et 1250, la valeur des hectares labourables, qui nous sont connus, varie de 20 à 2,300 francs ; entre 1326 et 1350, elle va de 6 à 310 francs ; entre 1526 et 1550, de 5 à 800 francs ; entre 1576 et 1600, de 10 à 1,200 francs. Les revenus ne sont pas moins différens : au XIIIe siècle, ils vont de 0 fr. 34 à 74 francs l’hectare ; au XIVe de 0 fr. 07 à 84 francs ; au XVe de 0 fr. 19 à 63 francs, et au XVIe ils varient de 0 fr. 05, dans l’Orléanais (1525), à 115 francs, dans les Flandres (1545). Comme, du plus bas chiffre au plus haut, les prix se suivent graduellement, sans qu’il y ait d’intervalle trop marqué, aucun d’eux ne peut guère être laissé de côté, dans le calcul des moyennes, comme exagéré ou invraisemblable.

Les prix qui ont servi de base à nos calculs sont ceux de parcelles de terre, et, très exceptionnellement, de domaines entiers. Des pièces de quelques ares ou de quelques hectares sont naturellement plus chères que de vastes étendues, et les chiffres que l’on obtient ainsi pourraient passer pour légèrement majorés ; mais ce sont les seuls chiffres sincères, les seuls comparables aux prix de nos jours, parce qu’ils s’appliquent à une marchandise de même nature que notre terre de 1893. De plus, ces morceaux de terrain ont une destination nettement définie : ce sont des labours, des prés, des vignes, des bois, des jardins ; ils se comparent aisément aux fonds actuels de même catégorie.