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Il n’en est pas ainsi des domaines qui contiennent toutes sortes de sols et plus ou moins des uns que des autres. De plus, s’il est vrai qu’une grande propriété se vend moins cher en totalité qu’en lambeaux détachés, si, à cet égard, l’introduction des domaines dans les calculs pourrait être considérée comme rétablissant l’équilibre, en rendant les moyennes, tirées de parcelles, plus basses et plus justes, il ne faut pas perdre de vue que la surface réelle de ces propriétés, nobles le plus souvent, n’est pas celle de leur juridiction, de ce qu’on nomme le « domaine direct, » mais bien celle du « domaine utile, » de la quantité de terre dont jouit effectivement le seigneur. D’un autre côté, ces domaines possèdent des droits féodaux, annuels comme les « champarts » et « terrages, » éventuels comme les « lods et ventes, » qui ne peuvent pas être capitalisés exactement. De là deux causes d’incertitude, susceptibles d’abaisser ou d’augmenter, si l’on n’y prenait garde, le prix de l’hectare.

Un autre élément de la propriété foncière, sous le régime du servage, élément impossible à dégager, pourrait aussi élever à tort le prix du sol : je veux parler des colons, qui, sous des noms divers, depuis les « hôtes «jusqu’aux « hommes propres, » y sont attachés, en font partie intégrante. Comme les fermes américaines, avant l’émancipation des esclaves, les domaines féodaux, avant l’affranchissement des serfs, se vendent plus ou moins cher selon le nombre des exploitans qui vivent dessus. La même terre, garnie de serfs, sera de grand prix, et, peu habitée, ne vaudra presque rien. Pour ces motifs, les prix de parcelles détachées méritent de servir, presque seuls, de base aux évaluations.

Les prix que nous possédons, au ixe siècle, font ressortir l’hectare de terre à 70 francs intrinsèques, avec des chiffres qui varient de 5 à 342 francs, en adoptant les calculs qui fixent le son de Charlemagne à 4 fr. 05 de notre monnaie. Négligeons les Xe et XIe siècles, pour lesquels les conversions de livres en francs manquent de solidité ; nous trouverons au XIIe siècle l’hectare de sol labourable à 93 francs. Dans le premier quart du XIIIe siècle, point de départ de nos recherches, ce prix est de 135 francs ; il a donc énormément augmenté. Dans les soixante-quinze ans qui suivent, il s’élève d’une façon prodigieuse et atteint, en 1276-1300, le chiffre de 261 francs. La terre aurait presque triplé en cent cinquante années, elle aurait presque doublé en un demi-siècle. De pareilles fluctuations, comme on le verra plus loin, n’ont rien d’extraordinaire, qu’il s’agisse de hausses ou de baisses ; mais, à des époques plus rapprochées, nous en saisissons mieux la cause.

La moyenne de 261 francs l’hectare s’applique spécialement à une trentaine de nos départemens actuels ; la moyenne des prix