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à 39 francs ; la Normandie, après avoir résisté plus longtemps que les autres régions, était tombée à 23 francs en 1426-1450 et ne s’était relevée qu’à 53 francs sous Louis XI.

Tandis que, dans le cours du XIIIe siècle et jusqu’en 1325, les hectares à 400 francs ne sont pas très rares parmi les chiffres que j’ai recueillis, depuis 1401 jusqu’à 1475 le prix de 100 francs n’est guère dépassé que cinq ou six fois, et plutôt dans le midi, en Provence, ou dans l’est, en Alsace. En revanche, toutes ces localités, sises dans le rayon parisien, qui fournissaient de fortes moyennes, se traînent à des prix dérisoires : 24 francs près de Meaux, 25 francs à Vanves près de Paris. Dans Paris même, je veux dire dans notre Paris de 1893, sur l’emplacement actuel de nos rues de Sèvres et de Vaugirard, on vend, en 1447, 128 ares de terre en culture sur la base de 49 francs l’hectare.

C’est seulement à partir de 1476-1500, depuis les dernières années du règne de Louis XI jusqu’au commencement de celui de Louis XII, que la reprise se fait sentir sur les biens-fonds. La moyenne, qui avait été dans le quart de siècle précédent de 48 francs, s’élève à 97 francs ; elle avait retrouvé simplement sa valeur du temps de Charles V (1375), elle restait inférieure de moitié à ce qu’elle était sous les derniers Capétiens directs (1325), et de plus des trois cinquièmes à ce qu’elle avait été sous Philippe le Bel. Cependant, si l’on tient compte de ce fait que la puissance d’achat de l’argent n’avait cessé de hausser dans tout le cours du XVe siècle, que cette puissance était, à l’avènement de Louis XII, moitié plus grande que sous Charles V, la hausse de ces vingt-cinq années deviendra particulièrement frappante : 97 francs de Louis XII en valaient presque 145 de Jean le Bon.

Il faut aussi considérer que, depuis cent cinquante ans, des générations entières de riches avaient été plongées dans la misère ; socialement parlant, les Français de 1500 étaient une nation toute neuve qui sortait des ténèbres et revoyait le soleil. Dans cette nuit séculaire les terres avaient, en très grande partie, changé de mains ; et ceux qui avaient acheté sur le pied de 70 ou de 50 francs l’hectare, dans les cinquante dernières années, s’estimaient très heureux de la plus-value énorme de leurs immeubles, et n’imaginaient pas qu’ils eussent précédemment valu davantage. De fait la nation se retrouvait, au commencement du XVIe siècle, dans des conditions presque identiques à celles où elle avait été deux cent cinquante ans auparavant : peu de bras et beaucoup de terres. Les bras étaient donc chers ; la terre, et par suite les produits de la terre, bon marché. C’est là par excellence l’état avantageux à la classe des travailleurs. Les disettes, la peste, — elle revint plusieurs fois en 1502, en 1510, — paraissent n’avoir pas