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et qu’il faut se hâter de les regarder parce qu’ils sont condamnés à bientôt disparaître.

Le chef-lieu de l’inscription maritime est à la Teste-de Buch, l’ancienne Testa Boïorum, la capitale des captaux de Buch dont le plus célèbre est ce Jean de Grailly, si dévoué aux Anglais, qui fut pris, en 1366, à Cocherel par Duguesclin et mourut dans sa prison, refusant obstinément la liberté qu’on lui offrait au prix du serment de ne plus combattre contre la France. La ville, la toute petite ville, est jolie. On s’y rend à pied d’Arcachon par une route qui longe le rivage, c’est à-dire les crassats dès le commencement du jusant, car l’anse de l’Aiguillon est presque entièrement comblée par les vases. Les larges rues droites sont bordées de maisons blanches, pour la plupart sans étages, avec des portes et des volets peints en vert, en bleu, ou en marron, séparées de la rue par un jardinet clos d’une barrière en lattes. Les habitans n’ont peur ni de voir ni d’être vus. Les boutiques sont rares. Les marchands de tabac se reconnaissent à une grosse pipe rouge ou deux pipes croisées comme des sabres dans une panoplie ou le signe dont on marque le théâtre d’une bataille sur les cartes de géographie ; le pharmacien est, selon l’usage, flanqué de ses deux majestueux bocaux, l’un rouge et l’autre vert ; le boulanger de chez lequel sort une bonne odeur de pain chaud, la gendarmerie ornée de son drapeau de fer-blanc, l’inscription maritime avec une grande hampe veuve de son pavillon, excepté aux jours de fête. Sur la place, la fontaine est entourée de platanes poussiéreux. Tout est enveloppé d’une lumière crue, rendue aveuglante par sa réflexion sur les murs blancs et qui plaque çà et là de gros paquets d’ombre. Par cette matinée de septembre, la chaleur est étouffante et tout semble altéré jusqu’aux raisins qui se hâtent de mûrir sur leurs treilles. Les enseignes elles-mêmes portent des noms sonores aux yeux comme des airs de trompette aux oreilles, terminés en ac, en ilhes, en erre, en ès, et pour accompagnement à cette symphonie de lumière et de chaleur qui remplit la nature, un grand silence que ne troublent ni le bruit cadencé des grelots d’un cheval de charrette qui passe lentement, ni le marteau du maréchal-ferrant qui résonne au fond d’une impasse encombrée de roues de voitures, d’avirons, de gouvernails de pinasses aux ferrures brisées, ni la conversation de quelques moineaux qui, perchés sur une gouttière, écrasés de lassitude, hérissent leurs plumes pour avoir moins chaud, ni le cri strident d’une cigale qui, à la cime d’un platane, chante enivrée, éperdue, au sein de l’atmosphère ardente. Les passans sont rares : des enfans flânent pieds nus, des chiens vaguent mélancolique, ou sommeillent la tête allongée entre leurs