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cure. Il l’alla visiter. Une personne qui le vit alors a conservé de lui une impression étrange. Sa barbe descendait très longue sur sa poitrine, faisant paraître sa figure dévastée plus maigre encore, et ses yeux plus creux. Beaucoup de neige était tombée pendant la nuit, et le paysage était tranquille et blanc. Parfois il disait : « Que l’influx est puissant, ici ! » Alors tous ses muscles tremblaient, sa chair était agitée de petites vagues, comme une eau ridée par le vent. « Voici Alice ! » murmurait-il. Et il s’abandonnait avec des yeux ravis et pourtant pleins de larmes. Bientôt la morte commença, avec toute la puissance de son génie dématérialisé, à lui dicter un ouvrage qui devait résumer leur doctrine à tous deux. « Elle fait des miracles ! » s’écriait-il. Ce que sa main écrivait, ne venant pas de lui, mais d’elle, prenait le caractère d’une révélation sublime. La force irrésistible le poussait sans qu’il sût où il allait, ni le titre du livre, parce qu’elle ne l’avait pas encore dit. Il avait pensé d’abord à l’appeler « le Divin féminin. » C’est celui qui parut sous le nom de Religion scientifique, et dont j’ai résumé plus haut le contenu.

Sous cette terrible tension nerveuse, sa santé se détraqua sans remède. Quand, en 1887, il partit pour l’Angleterre afin de surveiller la publication de son livre, ce dernier effort l’épuisa. Il était à bout de forces cérébrales, inerte maintenant. Un matin, il attendit Alice, elle ne vint pas. Ce fut une douleur furieuse, le désespoir de l’homme qui s’éveille, ne voit plus la lumière, et crie : Je suis aveugle ! la rage du débauché qui s’aperçoit un jour qu’il n’est plus qu’une loque vacillante de chair humaine. Alors, comme cet aveugle qui se fait apporter de puissantes lampes ou regarde le soleil en face en pensant que, si quelque lueur filtre encore jusqu’à son cerveau, la vue peut-être lui reviendra, comme le débauché qui cherche dans des impossibilités de quoi se figurer qu’il est encore un homme, Oliphant humilia sa dignité dans d’étranges pratiques cérébrales. Il en vint à se persuader que ce n’était pas lui qui, dans cette période de dépression, ne pouvait plus matérialiser ses imaginations, que c’était l’esprit d’Alice qui avait besoin d’aide, d’une aide féminine pour se manifester. Et il demanda à une amie, Mme Hankin, qui était un bon médium, de devenir « sa collègue, » de prêter sa puissance nerveuse à l’esprit. Cette dame y consentit, lui versa le fluide nécessaire à la « vibration, » cette volupté innomée dont son corps frémissait. Mais bientôt ce secours même devint inutile. Était-ce donc à jamais fini, de cette vie hors nature, avait-il perdu Alice comme on dit que les ascètes perdent la grâce ? Quelle prière, quel acte, allait la lui faire retrouver ?

L’acte fut le plus extraordinaire qu’il se pût imaginer, la suprême