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ensuite à emporter les objets volés. Leur plus grande prospérité a été entre 1820 et 1830. Vers 1840, un procès monstre a eu lieu à Berlin contre Lowenthal et consorts ; il y eut 520 inculpés, pour la plupart israélites, et le nombre des vols perpétrés dépassait 800. La valeur de l’argent volé s’élevait à 800,000 francs, les actes du procès remplissaient 2,000 volumes.

Avec le temps, ces voleurs avaient compris qu’il était nécessaire de quitter la province et de s’établir à Berlin, où il s’offrait plus d’occasions fructueuses et plus de facilités pour se débarrasser du butin. Peu à peu l’élément israélite a disparu, la très grande majorité des malfaiteurs berlinois sont aujourd’hui des protestans ou des catholiques. Si le juif ne constitue plus un élément important, son influence a été durable et elle a laissé son empreinte dans l’argot des voleurs, qui se compose en grande partie de termes détournés de l’hébreu et aussi de mots empruntés à la langue romane des bohémiens.

La spécialisation est un des traits distinctifs de notre époque ; chaque profession, chaque corps de métier adopte la division du travail. L’industrie du vol a suivi la tendance universelle, et la plupart des voleurs de Berlin se renferment dans une branche spéciale.

Les voleurs de profession ont ainsi admis le principe que, pour arriver à la plus grande perfection possible, il est indispensable de choisir une spécialité déterminée et de se borner à la pratiquer exclusivement. Ils ont donc tous une spécialité qu’ils cultivent assidûment et dont ils ne s’écartent qu’à la dernière extrémité.

Le pickpocket ne se livre pas à l’effraction, et réciproquement, le cambrioleur ne s’adonne pas au vol à la tire. L’un et l’autre considèrent comme au-dessous de leur dignité d’empiéter sur le terrain d’autrui et affectent l’indignation lorsqu’on les en accuse. Il arrive souvent qu’un voleur par effraction, accusé d’avoir pris part à un vol de jour dans un magasin, se lâche et répond : « Monsieur le commissaire, vous savez bien ce que je fais et que je ne m’amuse pas à des bagatelles de ce genre. »

Dans le même ordre d’idées, le criminel de profession, accusé d’avoir pris part à un vol exécuté contre toutes les règles de l’art, se récrie avec énergie : « Si j’en avais été, je n’aurais jamais commis cette sottise. »

Cette division du travail a certainement contribué à rendre les criminels berlinois plus redoutables.

Une pratique continue affine singulièrement les facultés maîtresses nécessaires pour réussir dans les entreprises. Il est vrai, cependant, que la tâche des agens chargés de l’instruction en devient plus facile.