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d’instinct m’y retenait et j’aurais fini par gagner ce malheureux procès, mais aux dépens de ma tête à quoi nous n’avions songé ni l’un ni l’autre.

« Je vous renouvelle ma prière pour qu’on remette à ma mort les quatre mille et quelque cent francs qu’on a trouvés chez moi, à ma famille. Je vous jure sur mon honneur et ma mémoire que c’est elle qui m’avait prêté ces fonds pour un voyage en Amérique, savoir : ma mère, 1,000 francs, mon frère Régnier, 1,000 francs, et le reste par mon frère Desloges, chef d’escadrons au 8e de chasseurs. Cette faible somme est fort indifférente au ministère ; je désire d’autant plus qu’elle soit rendue à ma famille qu’elle sera dans le cas de renoncer à ma mauvaise succession.

« Je vous demande au moins de remplir l’objet de cette lettre comme un souvenir des premiers mots que je vous ai dits, en vous revoyant. Vous ne pouvez pas douter que je peins pour avoir accepté une mission où je n’ai eu pour but que de vous sauver la vie et particulièrement pour l’ordre de votre transfèrement qui, seul, pouvait vous sauver. Je ne vous le rappelle point pour moi, mais pour l’intérêt que je dois à ma famille, qui souffre déjà tant pour moi. Je vous ai donné l’exemple de la générosité. Adieu, Savary. »

« Signé : V.-F. Lahorie. »


Boutreux, arrêté quelques jours plus tard, fut jugé et exécuté comme l’avaient été ses complices.

Restait à savoir quelle impression produiraient sur Napoléon des faits aussi imprévus. On aurait peut-être assez de peine à lui persuader que les administrateurs, qui ne les avaient ni prévus ni prévenus, ne méritaient pas un blâme sévère. Cependant, que pouvait-on reprocher au ministère et à la préfecture de police ? Malet, en ne mettant presque personne dans sa confidence, en ne faisant aucun préparatif au dehors, en n’établissant aucune correspondance avec qui que ce fût, avait rendu toute découverte impossible. Il s’était mis à l’abri des trahisons, des imprudences qui déjouent presque toujours les complots. Il avait pu séduire deux casernes sans que la police civile et la police militaire se soient doutées-de rien. Pour la police civile, l’explication est simple : elle n’exerçait aucune action, aucune surveillance sur les casernes, dont elle était écartée, avec un soin jaloux, par l’administration militaire. On ne l’informait jamais à l’avance des mouvemens de troupes, en sorte que les inspecteurs du ministère et de la préfecture de police, le ministre et le préfet de police eux-mêmes auraient, pu se trouver sur le chemin des détachemens que conduisaient Malet et les officiers