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La mort de Byron, dit M. Brandes, a donc arrêté le mouvement de reflux qui entraînait l’Europe vers la réaction, et maintenant le flux des idées filles du XVIIIe siècle va revenir nous inonder : ce sera le sujet des deux derniers volumes : l’École romantique en France et la Jeune Allemagne. L’action d’ailleurs s’y déroule parallèlement, ce qui fait que les cinquième et sixième actes du drame de M. Brandes sont, en réalité, une double version d’un seul véritable cinquième acte : la révolution qui se prépare, ici en France, là en Allemagne. Une révolution qui se prépare ! Si petite que soit cette révolution, quelle aubaine pour M. Brandes ! Il la verra se préparer partout et dans toute chose, et il ne quittera donc plus le ton du dithyrambe jusqu’à la fin.

Nous pensons avoir suffisamment essayé, dans tout ce qui précède, de faire ressortir l’esprit de l’œuvre de M. Brandes, nous passerons donc rapidement sur ces deux derniers volumes. Nous ferons observer seulement que ce qu’il appelle l’école romantique en France, c’est quelque chose de bien indéterminé, puisqu’il y admet tous les écrivains français de 1824 à 1848 : Charles Nodier à côté d’Alfred de Vigny, Hugo et Musset, George Sand et Balzac, Stendhal et Mérimée, Théophile Gautier et Sainte-Beuve, Dumas père et Vitet, et même Ponsard ; sans oublier Saint-Simon, Pierre Leroux et Lamennais. Il ne fait d’ailleurs même pas l’honneur à Lamartine de lui consacrer ici un chapitre spécial. Le livre se termine par une ode triomphale à Victor Hugo. M. Brandes ne nous dit pas à cette place que c’est parce que Victor Hugo fut sénateur radical, mais cela se devine de reste.

Le sixième et dernier volume : la Jeune Allemagne, est consacré à Bœrne, Menzel, Heine, Immermann, aux hégéliens, et puis à Gutzkow, Laube, Mundt, Rahel, Bettina, Charlotte Stieglitz. Pas n’est besoin de dire que nous retrouvons la même règle de critique que toujours : sont de grands écrivains ceux qui ont servi, directement ou indirectement, la cause de la révolution, sont des misérables ceux qui ont parlé contre elle. Heine, tout naturellement, se trouve très longuement étudié ici, et accablé des plus louangeuses épithètes, non pas parce qu’il fut un admirable poète, mais parce qu’il lutta contre le gouvernement de son pays. M. Maurice Barrès consacrait récemment un très court article à nous rapporter l’opinion de M. Brandes sur Heine, et il le louait à ce sujet sur la sûreté de sa psychologie. Nous sommes persuadé que M. Barrès n’a guère dû lire de M. Brandes que justement ce qui concerne Heine. Il y avait à excuser Heine de l’admiration que ce poète professa pour Napoléon et toute l’épopée impériale, admiration qui ne semblait pouvoir se concilier avec le grand amour