livré à ses seules ressources du moment, il ne pourrait tenir que peu d’heures, au plus tard jusqu’à la nuit. Mais il pensait que le pape, effrayé par la guerre civile, déposerait le pontificat avant que l’entrée de sa prison ne fût forcée par les bras de son peuple ; il comptait aussi sur le secours des seigneurs romains et des clercs impurs pour la cause desquels il allait livrer bataille ; il espérait enfin que Déodat aurait le temps de dépêcher un courrier à travers la campagne, de manoir en manoir, jusqu’à Tusculum et Tivoli, et que les bandes de ses pairs, faisant irruption, vers le soir, par la porte Majeure et la porte Saint-Jean, prendraient à revers ces milliers de misérables. Il ignorait qu’à cette heure même toutes les issues de la ville, les brèches des vieilles murailles, les deux rives du Tibre, étaient gardées sévèrement, qu’au Capitole les nobles, déconcertés par l’explosion de la passion populaire, venaient de se conjurer avec les délégués des artisans pour le salut du pontife et que, dans toutes les paroisses, dans tous les couvens, les prêtres et les moines, les simoniaques aussi bien que les ascètes, saisis de terreur religieuse et croyant que Satan violentait l’Église, selon la prévision de l’apôtre, priaient pour le vicaire de Dieu.
Cencius plaça derrière les barreaux de chaque fenêtre, à chaque meurtrière, sur la terrasse crénelée dominant la façade extérieure du château, des tireurs à l’arc et à la javeline. Il ordonna que l’on ménageât les munitions ; il importait de prolonger la lutte le plus d’heures possible sans trop exaspérer la rage des assaillans, et d’empêcher avant tout que la porte ne fût forcée à coups de béliers ou rongée par le feu. Il employa les vagabonds appelés par lui des cavernes du Colisée à arracher les pavés de la cour et les dalles des galeries dont ils formèrent une solide barricade en avant de l’escalier menant à la tour où Grégoire était enfermé. Puis, la tête haute, il croisa les bras et attendit.
Alors commença l’attaque de la forteresse. Une grêle de pierres et de flèches s’abattit sur les murs, première tentative enfantine qui blessa plus d’assiégeans que d’assiégés. Les projectiles rebondissaient contre les visages des Romains, à la grande joie des hommes de Cencius. Puis les bergers du Latium se portèrent dans les maisons avoisinantes et s’entassèrent sur les toits ; les cailloux, lancés par une centaine de frondes, sifflèrent et, retombant dans l’intérieur du château, touchèrent sérieusement quelques-uns de ses hôtes. Le baron fit refluer son monde dans les galeries les mieux abritées, tout en se félicitant des abondantes munitions que lui envoyait l’ennemi.
— De vrais chrétiens, cria-t-il, ces enfans de chœur du pape ! Voici des oranges un peu aigres dont ils nous font cadeau ; à notre tour nous les leur rendrons, mais plus mûres.