Tout à coup, un bruit formidable retentit dans le couloir voûté qui conduisait à la rue. La porte, attaquée à coups de poutres, résonnait comme un tambourin énorme de jeu de paume. Cencius fronça les sourcils ; il se sentait tâté au point faible de la cuirasse. Mais, au quatrième ébranlement succédèrent des hurlemens de douleur et le front du baron se rasséréna.
— C’est la riposte de mes archers, dit-il. Cent coups d’épingle pour un coup de poutre. Excellente pelote, que la poitrine et le dos de ces rustres !
Au dehors, en face de la porte, une poignée d’artisans et de bouviers, inondés de sang, s’étaient repliés sur le gros de la foule. Les autres lâchèrent leurs machines de guerre et reculèrent. Les frondes reprirent de plus belle contre les meurtrières et les terrasses. Les archers s’effacèrent prudemment à l’abri de la muraille ou des créneaux. Le peuple, croyant à leur retraite, se rua vers les engins qu’il venait d’abandonner sur le sol ensanglanté et battit la porte en grande hâte, avec une fureur fébrile. Une nuée de flèches lui répondit pour la seconde fois. Les Romains tinrent bon pendant quelques minutes, mais déjà morts et blessés couvraient la terre. Le peuple se retira de nouveau, laissant la rue vide. On n’entendait plus, dans la foule, qu’un murmure d’angoisse, et çà et là, au pied de la forteresse maudite, la plainte d’agonie de quelques mourans.
Cencius reparut alors seul sur la plate-forme de sa tour. Le peuple le regardait avec un effroi superstitieux. Cet homme, qui se jouait ainsi de Dieu même, avait certainement conclu un pacte avec Satan. Le baron cherchait anxieusement sur Rome, de château en château, quelque signal annonçant du renfort, une bannière amie hissée au sommet d’un donjon. Mais, du Capitole au Champ de Mars, du Janicule au Colisée, il ne vit rien qui pût encourager son espoir.
— Ces va-nu-pieds leur font donc peur ! murmurait-il. Les voilà qui me trahissent. Ils ne sont braves, les nobles de Rome, que contre les vieux prêtres chauves du sacré-collège. Demain, si ces coquins délivrent leur pape, ils baiseront la bague de Grégoire et me pendront, moi, à la potence de ce pauvre diable de Crescentius. À moins qu’on ne vienne de là-bas à mon secours…
Et il se tourna vers la vaste campagne qui ondulait au loin, entre les montagnes et la mer, triste et solennelle, dans la pâle lumière d’un matin de décembre. Mais déjà le tumulte populaire s’était réveillé. Une troupe de jeunes garçons, des enfans du Transtévère, apportait une nouvelle machine de siège, des fagots enlevés d’un bateau amarré au bord du Tibre, sous le temple de Vesta. En un clin d’œil, et sous les traits des assiégés, le bûcher