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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/386

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de malédiction ; Victorien se jeta entre ses bras et arrêta l’anathème prêt à tomber sur la tête de son père vaincu.

— Pardonne moi, disait le misérable, je suis ici, prosterné, et je te demande grâce pour mon crime. J’ai profané l’autel et la crèche du seigneur Jésus ; je t’ai enlevé à ton église, toi, mon évêque et mon seigneur apostolique ; fais-moi miséricorde, inflige-moi la pénitence de mon péché, protège-moi contre la colère de ton peuple, contre le juste jugement de Dieu. Reçois-moi entre tes mains et donne-moi ce jour-ci pour l’expiation. Mais laisse-moi vivre pour le rachat de mon âme et apaise, je t’en supplie, la tempête que j’ai méchamment déchaînée. J’ai peur de Satan et je sens sa griffe s’enfoncer dans ma chair. Je suis perdu pour l’éternité si tu n’as pitié de moi !

Le pape demeurait immobile ; ses yeux ne daignaient point s’abaisser sur Cencius ; aucune compassion n’adoucissait la tristesse sévère de son visage. Victorien comprit l’implacable résolution de Grégoire et, quand celui-ci ouvrit la bouche pour prononcer la sentence, l’enfant se serra contre le cœur du pontife et murmura la parole enchantée qu’entendirent jadis les collines de la Galilée :

— Bienheureux les miséricordieux !

Le pape tressaillit ; une rougeur rapide éclaira son front ; il regarda le parricide étendu à ses pieds dans la poussière et un sourire de miséricorde effleura ses lèvres.

Derrière la porte, l’affreuse bataille corps à corps recommençait. Dans la cour, le peuple inquiet, croyant à une capitulation menteuse du baron, criait que le prisonnier fût rendu sur-le-champ.

Grégoire se rassit et dit à Cencius :

— Jésus a pardonné à ses bourreaux, et moi, le serviteur de ses serviteurs, je dois te pardonner. Que ton crime soit effacé par le sang de Notre-Seigneur. Mais tu as violenté la sainte Église romaine en ma personne et ta main a touché au tabernacle de l’Éternel. Pour cela, il faut que tu expies et que tu pleures. Tu iras à Jérusalem, seul, avec la besace et le bâton de pèlerin ; tu te frapperas la poitrine dans le jardin où Dieu a souffert l’agonie, sur le Calvaire où les Juifs l’ont crucifié. Puis tu reviendras, purifié, te courber devant moi comme un vassal fidèle. Quant à cet enfant, ton fils, il m’appartient désormais et je le garde.. Appelle maintenant les chefs de mon peuple afin que je leur confie le salut de ta propre vie.

Les capitaines du Latran et du Capitole entrèrent dans la cellule. Grégoire leur remit Cencius et, tenant par la main le jeune garçon, il marcha à la tête du cortège. Quand il parut sur une terrasse du château, suivi du baron qu’entouraient les chevaliers de Rome,