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fenêtres hautes ; des boutiques et des magasins à presque tous les rez-de-chaussée. On se croirait dans une vieille ville de province, de l’époque de Louis XV, à la décoration des façades et à la disposition des constructions. Il y a de belles églises au Mouillage et au Fort. Comme dans certaines cités du Midi, il y a deux villes, ennemies l’une de l’autre. Le Fort, le quartier haut, où les passions politiques sont des plus violentes, ne fraternise pas avec le Mouillage, où les idées du temps passé sont en faveur et où l’on n’est pas plus modéré pour cela. Dans les jours troublés, il descend du Fort une avalanche d’hommes et de femmes qui roule comme un torrent dans la grand’rue, la rue Victor-Hugo aujourd’hui, renversant tout sur son passage. Ces fureurs d’un moment passées, la ville reprend son aspect affairé. L’affluence est si grande dans les rues, au plus fort de la campagne industrielle, que l’on s’y fraie difficilement un chemin. La ville est bien propre ; une eau limpide court le long des trottoirs. Une mairie monumentale, de belles maisons particulières, l’hôtel de l’intendance, demeure du gouverneur quand il vient à Saint-Pierre, et un magnifique jardin botanique des mieux entretenus, ornent la ville, dont le seul défaut est, bâtie en amphithéâtre, d’être très chaude. On a, il est vrai, la ressource de monter au Morne-Rouge, un joli village éventé par la brise, mais le commerce a ses exigences et c’est lui qui gouverne la capitale économique de la Martinique. Bon pour le touriste de passer de frais instans dans le Jardin botanique, au pied de la cascade naturelle qui tombe du Trou-Vaillant ! Il faut recevoir et expédier le sucre et le rhum, le café et le cacao, emmagasiner les marchandises venues de France, parlementer avec la douane qui est l’ennemie, le bouc émissaire chargé de tous les péchés du tarif général et de l’octroi de mer. Le va-et-vient des denrées qui sortent et de celles qui entrent, en gros 20 millions à la sortie et un peu plus à l’entrée, le tumulte des transactions, ne s’apaisent que le soir, et encore, dans les conversations du cercle où se rencontrent les négocians, on continue de faire des affaires, on prépare celles du lendemain. On y médit aussi du gouvernement et de l’administration. C’est le léger travers du commerce de Saint-Pierre qui vit loin de Fort-de-France, un peu en frondeur, et ne se réconciliera avec les autorités de la colonie que le jour où il aura la bonne fortune de les loger. Le gouverneur, chaque fois qu’il se rend à Saint-Pierre, y reçoit le meilleur accueil. En temps de carnaval et aux jours de fête, quand le cercle donne un bal ou quand il s’organise une kermesse de bienfaisance, les choses se font grandement. Il faut assister à un bal donné à la division navale, à un mariage, à une fête quelconque,