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toute sa politique, et Richelieu ne tarit pas sur « la lâcheté » de ce chancelier dont « le cœur était de cire » et qui « cherchait en toutes occurrences les accommodemens et les conseils moyens que César dit n’être pas moyens, mais nuls dans les grandes affaires. »

C’était cet homme pourtant qui allait manier à son gré les États ; c’était ce faible et tremblant serviteur des rois qui allait donner le coup de la mort à l’institution libérale la plus ancienne et la plus autorisée qui eût survécu en France. Tant il était évident que la royauté l’emportait ! La nation elle-même donnait des mains à sa propre défaite que cette réunion des États allait consommer.

Sillery parla plus d’une heure. Quand il eut fini, il alla prendre l’avis du roi et déclara la session officiellement ouverte. Ce fut alors le tour des présidens des trois ordres. M. de Marquemont, archevêque de Lyon, personnage illustre, plein de science et de doctrine, canoniste et diplomate, harangua succinctement au nom du clergé. Un vieillard du Midi, le baron de Pont-Saint-Pierre, « debout et le chapeau à la main, » prononça, au nom de la noblesse, un pénible et maladroit discours. Enfin le président Miron parla avec l’heureuse justesse d’un Parisien, les genoux en terre, au nom du tiers-état.

Ces discours durèrent très longtemps. Mais on prenait patience. Car la curiosité était éveillée : on disait que le prince de Condé allait, à son tour, prendre la parole et expliquer, devant les États, les raisons de sa conduite lors des derniers mouvemens. Tout le monde sentait que l’intérêt de la séance était là. Quel parti allait prendre le prince ? S’il eût parlé et s’il eût exposé hautement les griefs dont il avait rempli ses manifestes, peut-être eût-il pris un réel empire sur l’assemblée. En tout cas, ce coup de politique hardi eût étonné les ministres et eût agi sur eux et sur la régente par le seul sentiment auquel ils fussent accessibles, la peur. Mais si Condé pouvait, à la rigueur, concevoir de pareils desseins, il n’était pas homme à les exécuter. Il resta muet[1]. Le roi se leva aussitôt après le discours du président Miron, et la cérémonie s’acheva à la nuit tombante.


II

Nous ne prétendons pas écrire une histoire complète des États de 1614. Richelieu les a jugés sévèrement et justement : « La proposition, dit-il, en avait été faite sous de spécieux prétextes et sans aucune intention d’en tirer avantage pour le service du roi

  1. Florimond Rapine dit que Condé sentait que la salle ne lui était pas favorable.