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Ainsi poussé, il se laissa faire et bientôt on s’aperçut que cette longue retraite n’avait pas été oisive. C’était, pour le cardinal, une occasion unique de retrouver un de ces grands succès oratoires sur lesquels sa réputation s’était fondée et, cette fois, il ne s’agissait plus de religion seulement, mais de haute politique et des plus grandes affaires de l’État.

Il voulut s’assurer tout d’abord l’appui de la noblesse et, dès le lendemain, 31 décembre 1614, il se rendit, accompagné d’un cortège de trente ou quarante évêques, dans la chambre de cet ordre ; il y prononça, devant un auditoire enthousiaste, une longue harangue où il développait à l’aise toute sa pensée. Il distinguait entre la doctrine et le fait. En ce qui concernait le point de doctrine relatif à l’autorité des papes sur les rois, il voulut bien reconnaître (en cela moins ardent que les vrais ultramontains) qu’en France elle restait « problématique, » tandis qu’elle était admise et reçue dans tous les autres pays catholiques. Mais il se hâta d’ajouter que la décision de ce problème appartenait à l’Église, et à l’Église seule, qu’elle ne pouvait être tranchée que par un concile général, et qu’en tout cas, les laïcs n’avaient aucune autorité pour l’examiner et encore moins pour la résoudre. Abordant alors la question de fait, il s’élevait avec colère et avec douleur tout ensemble contre l’initiative prise par le tiers. Il la traitait de machination impie, faite pour diviser les Français, pour renouveler les anciennes querelles fabriquées à Saumur et en Angleterre et il jurait que, quant à lui, à ses collègues les cardinaux et les archevêques, les évêques, les deux mille prêtres et tous les bons catholiques de France, ils rejetaient absolument cet article ; qu’ils sortiraient ou abandonneraient plutôt le royaume que d’y souscrire, et qu’ils étaient résolus de mourir et d’aller franchement au martyre plutôt que de signer ni jurer cet article qui mènerait sans doute le royaume au misérable état de l’Église d’Angleterre.

La chambre de la noblesse se montra ravie du discours de Du-perron, flattée de la peine qu’il avait prise de lui exposer si abondamment ses raisons, et elle décida aussitôt qu’elle s’en remettait au clergé pour déterminer ce qu’il y avait à faire à l’égard de l’article du tiers.

Duperron laissa passer deux jours sur ce premier succès, et le surlendemain, 2 janvier 1615, il se fit transporter sur une chaise dans la chambre du tiers, accompagné, cette fois, non-seulement d’un grand nombre d’ecclésiastiques, mais de plus de soixante gentilshommes, députés de la noblesse, venus pour l’assister. L’annonce de son discours avait attiré un tel concours qu’on eût dit,