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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/538

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monsieur. » Le cardinal lui répondit : « Je n’irai pas, monsieur, chercher du plomb dans la vôtre. »

Effrayés de ces violences, tiraillés en sens divers, les ministres biaisèrent encore pendant quelques semaines. Ils firent rendre un arrêt du conseil qui évoquait l’affaire de l’article à la personne du roi et qui suspendait l’arrêt du parlement. Mais quand le roi, du consentement unanime, fut reconnu l’arbitre suprême sur une question si grave, il n’osa la trancher. On recourut à un subterfuge. Pour être agréable au clergé, on décida que l’article serait » retiré du cahier par l’ordre exprès du roi. » Pour ne pas mécontenter le tiers, on promit « de lui donner bientôt réponse sur l’article. » Mais cet avis que la royauté devait émettre solennellement sur sa propre autorité fut toujours réservé. Les ministres éteignirent, dans le secret des délibérations du conseil, un conflit de doctrines qui, d’ailleurs, trouvait naturellement, et sans débat, sa solution dans les faits. Les plus ardens, parmi les membres du tiers, auraient voulu pousser plus loin et traquer les ministres jusque dans le silence où ils abritaient leurs hésitations. Les plus sages conseillèrent de s’en tenir là, et leurs avis furent écoutés. Le clergé remporta ainsi officiellement la victoire. Le tiers dut se contenter des succès qu’il obtenait auprès de l’opinion.

Ce succès fut grand. L’article, en effet, avait proclamé, par la voix du tiers-état, la doctrine du droit divin avec son corollaire, la puissance absolue des rois. Dans un esprit d’autonomie ombrageuse et de méfiance à l’égard des influences extérieures, la nation donnait au pouvoir qui la représentait une force dont il pouvait se servir contre elle-même. Ainsi que l’observe l’historien de Richer, si l’article du tiers ne fut pas inscrit parmi les lois fondamentales du royaume, il fut gravé désormais dans le cœur de tous les Français et, par le triomphe des idées gallicanes, les maximes qu’il contenait devinrent, pour le pays, pour la royauté, pour le clergé lui-même, la pierre de touche du patriotisme et de la fidélité au service du prince.

Au cours de cette discussion importante, le clergé avait montré un esprit de décision et une vigueur qui indiquaient la confiance qu’il avait en ses forces. Il se sentait maître de la cour et ses ambitions ne connaissaient plus de bornes. On le vit bien à la façon dont il traita d’autres questions brûlantes, notamment celles qui touchaient à la situation financière du royaume. Il se prononça nettement pour une sérieuse révision des dépenses et il rendit au tiers la monnaie de ses mauvaises dispositions en réclamant avec insistance la suppression de la paulette. L’ordre ecclésiastique fit aussi un puissant effort pour obtenir l’acceptation du concile de