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Cependant les députés persévéraient : « Nous venons chaque jour battre le pavé des Augustins pour savoir ce qu’on veut faire de nous. Chacun demande des nouvelles de la cour, personne n’en veut dire d’assurées ; l’un publie le malheur qui talonne l’État ; l’autre déchire de paroles M. le chancelier et ses adhérens et cabalistes ; l’un frappe sa poitrine, accusant sa lâcheté ; l’autre médite son retour, abhorre le séjour de Paris, désire sa maison, voir sa femme et ses amis, pour noyer, dans la douceur de si tendres gages, la mémoire de la douleur que la liberté mourante lui cause. Tous ensemble cherchent les moyens pour être congédiés, plutôt que de séjourner dans cette ville, errans et oisifs, sans affaires ni publiques, ni particulières. »

Rien n’est plus triste que ces dernières journées. Ces braves gens, qui étaient venus du fond de leur province, pleins d’illusions et d’amour, s’apercevaient qu’ils étaient joués, et ils ne savaient au juste à qui s’en prendre. Assurés de leurs intentions, ils ne se disaient pas qu’ils étaient les premiers coupables, et que, s’étant abandonnés eux-mêmes, ils ne devaient pas s’étonner qu’on les abandonnât. Ils allaient par la ville, inquiets, dans l’espérance d’on ne savait quel coup du hasard qui les aiderait et les arracherait à leur propre impuissance. Un moment ils crurent que le parlement les tirerait d’embarras. Celui-ci résolut de se réunir pour délibérer sur ce qui était à faire. « Toute la France avait les yeux arrêtés sur ce grand aréopage et était aux écoutes pour apprendre avec applaudissemens les décisions du conclave du premier sénat de l’Europe. » La montagne accoucha d’une souris, et le corps du parlement, toujours égoïste, faisant passer les intérêts privés de ses membres avant ce que l’on considérait comme le bien du royaume, se contenta de demander le maintien de la paulette.

Cette fois, c’était fini. Quelque trente ou quarante députés s’obstinaient à frapper à toutes les portes, à casser la tête aux gens de leurs doléances, à vouloir se jeter aux pieds du roi qui, tout à ses chasses d’oiseaux, avaient bien d’autres choses à penser. Un jour qu’ils étaient venus jusqu’au Louvre, le chancelier Sillery s’avança au-devant d’eux et, prenant à parti le plus audacieux, un sieur de Ribier, lieutenant-général de Blois : « Monsieur, lui dit-il, vous êtes lieutenant-général à Blois et officier du roi ; avisez bien à ce que vous direz et prenez garde à vous. En quelle qualité voulez-vous parler ? Est-ce comme député ? Vous ne l’êtes plus ; car votre pouvoir est expiré par la présentation de vos cahiers. Est-ce comme privé ? Parlez alors en votre nom propre ; mais sachez que le roi n’a pas pour agréables vos assemblées qui sont illicites et sans sa permission. »

Rapine lui-même, qui nous raconte tous ces détails, essaya