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horlogère, grâce à ses connaissances en mathématiques et en astronomie ; Rosset, mort en 1780, qui, sans quitter son pays de Saint-Claude, conquit une réputation européenne par son habileté à travailler l’ivoire ; pour les couvens et les églises, il fit des Christs, des Vierges, des statuettes de saint Bruno, saint Benoît, saint Bernard ; pour les mondains il reproduisit les figures à la mode, Henri IV, Sully, Franklin, Washington, et même, malgré ses sentimens de piété, ses voisins de Ferney et Genève, Voltaire et Rousseau. « On a bien, disait-il, représenté le diable et le serpent, ils ne sont pas plus méchans que le premier, ni plus laids que le second. »

Ce qui caractérise l’industrie de cette région, c’est l’alliance fréquente d’une profession pastorale l’été, et d’une profession mécanique en hiver ; l’habitant ne peut se résoudre à quitter sa petite patrie, et supplée par le travail industriel au travail agricole ; à côté des fromages bleus de Septmoncel et des Chevrets, le métier qui transforme le bois, la pierre précieuse ; c’est aussi le travail en famille, le travail moral par excellence. Trois centres principaux : Saint-Claude, Morez, Septmoncel[1] ; la tournerie, l’horlogerie, la lapidairerie, occupent environ 25,000 personnes ; mais depuis 1863, époque où M. Audiganne visita ces contrées, un certain nombre de modifications se sont accomplies. À Saint-Claude, la pipe est surtout manufacturée à l’aide de procédés qui se perfectionnent sans cesse ; dans une usine, dite le Tornachon, près de l’Hôpital, M. Dalloz a établi une machine grâce à laquelle un ouvrier sculpte en même temps quatorze têtes de pipes qui représentent une figure : Voltaire, Gambetta, Garibaldi, Grévy, Carnot ; on peut estimer à 125,000 le nombre des pipes qui, chaque jour, sortent des usines, des petits ateliers et s’exportent dans toutes les parties du monde. La tabatière, le couteau à sifflet ont perdu la vogue, mais l’industrie des mesures linéaires a pris une large extension. — Avant 1873, il n’existait aucune diamanterie à Saint-Claude : M. Eugène Goudard a fondé la première au hameau de Montbriant, et l’on compte aujourd’hui six tailleries de diamant qui marchent toutes à l’eau, sauf une seule. Quant à la fabrication des objets dits articles de Saint-Claude, elle s’accroît sans cesse, et chaque jour voit naître un nouveau produit ; présentez un bibelot quelconque à un bon tourneur, il vous dira, après un examen de quelques minutes, combien de reproductions il pourra livrer à un prix déterminé, et souvent si minime que l’on ne comprend pas quel sera son bénéfice. Et ces tourneurs inventent

  1. MM. Charles Thuriet, Félix Péclet et M. le maire de Morez m’ont fourni les renseignerions les plus complets sur ces industries.