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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/583

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des chiffres, et ceux-ci, à défaut du charme immédiat, ont après tout leur utilité, peut-être même certaine éloquence qui naît de leur seul rapprochement : comprendre ce qu’était autrefois un pays, ce qu’il est devenu par le génie de l’homme, voir sortir de terre, par une sorte de magie, l’abondance, la fortune, des villages, des bourgs prospérer en des plaines réputées malsaines, insalubres auparavant, dans des sites où régnaient les vautours, les brigands, les légendes de sorciers, ces pensées, qui s’éclairent au flambeau de l’économie sociale, manquent-elles de noblesse ? Et n’est-il pas bon de rencontrer dans les plus hautes spéculations une poésie intime, des raisons de croire au progrès ? Ne sied-il pas que l’admiration devienne la servante de la raison, prenne en elle son point d’appui ? L’homme, dans sa lutte éternelle contre la nature, collabore à son insu avec elle, comme Phidias collaborait avec le marbre de Paros ; s’il diminue parfois, souvent aussi il augmente sa beauté, il la crée même en certains cas ; et si, dans quelque lumineuse journée d’été, vous contemplez les dessins infinis, les couleurs éclatantes dont il a revêtu le flanc de la vieille Cybèle, cette symphonie prodigieuse des moissons et des prés, des mines et des palais, vous sentirez que son œuvre est bonne et qu’il a fabriqué, lui aussi, de la grandeur, de l’infini, du divin.

Avant la conquête de Louis XIV, la Franche-Comté était régie par les édits, ordonnances et coutumes spéciaux, et la matière forestière y avait fait l’objet de textes nombreux dont un des plus anciens, qui traite « de l’état du gruyer et de ses lieutenans, » est un édit de l’empereur Charles-Quint de 1548. La gruerie générale établie à Dole gérait les très nombreuses forêts du domaine, auxquelles une ordonnance de 1610 avait annexé les bois et seigneuries de Jonvelle, Apremont, Gendrey, Saint-Aubin, Orchamps-en-Vennes et Rochefort. Des bois des communautés séculières ou ecclésiastiques, le pouvoir souverain paraît se soucier à peine, sauf pour conserver ceux de haute futaie et défendre leur exportation ; de la gestion proprement dite, du traitement des forêts, la coutume et les édits ne s’occupent pas beaucoup non plus, ils visent surtout la surveillance, la répression des délits auxquels s’applique une pénalité arbitraire ; moins arbitraire cependant que celle de certains seigneurs féodaux, s’il faut en croire un chroniqueur d’après lequel on trouva dans une oubliette le squelette d’un braconnier entre des cornes de cerf et des défenses de sanglier. Le gruyer et ses lieutenans avaient des attributions judiciaires et administratives s’étendant à toutes les affaires du domaine forestier, chasse, pêche, apanages, pâturages des pourceaux. Le procureur fiscal présentait les affaires, les scribes de la gruerie tenaient les registres, les forestiers ou sergens