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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/585

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En fait, beaucoup de gardes touchent un traitement qui varie de 500 à 550 francs, et se voient dans l’impossibilité presque absolue de nouer les deux bouts ; la commune leur accorde un peu de bois, parfois une gratification en argent, mais ces subsides rendent leur situation plus difficile : tiraillés entre leurs supérieurs hiérarchiques qui exigent un service sérieux, et les maires, les conseillers généraux qui recommandent de fermer les yeux sur maint délit de chasse ou de bois, obligés de faire des journées s’ils veulent aligner leur budget, de complaire aux potentats de village, chargés souvent de surveiller un triage trop étendu, leur condition semblerait misérable, si elle n’était enviée par tant de jeunes gens qui croient avoir décroché la lune dès qu’ils deviennent fonctionnaires et s’évadent de la culture, si le moindre poste n’était guetté par des douzaines de candidats. C’est pourquoi, malgré la bonne volonté réelle des subordonnés, malgré le talent et le zèle des chefs, beaucoup de délits demeurent impunis, le gibier passe au rang de mythe dans certaines contrées, et les forêts subiraient de plus grands dommages encore, tant l’instinct de rapine se montre puissant, si les habitans n’avaient intérêt à défendre le bois contre les maraudeurs. En fait, il s’établit une sorte de moyenne, la tolérance, la répression, le besoin de piller, la crainte des tribunaux produisent cet équilibre relatif que l’on remarque dans d’autres institutions humaines ; pour le bois s’entend, car la chasse semble à beaucoup de ruraux un droit naturel, et je sais telle commune où l’adjoint a pu aller à l’affût pendant dix ans sans qu’on l’inquiétât le moins du monde. Il mourut, il est vrai, d’une maladie contractée en attendant les lièvres à la rentrée, immobile pendant des heures sous la fraîcheur glaciale du matin. Saint Hubert a parfois de ces représailles !

Le décret de 1792, qui ordonnait l’aliénation des biens communaux, excepta heureusement les forêts. Grâce à cette décision, nos communes ont conservé un patrimoine collectif qui a disparu dans la plupart des départemens, rend la misère à peu près inconnue dans les villages comtois, permet de faire face aux dépenses ordinaires et extraordinaires. La production moyenne de la Haute-Saône peut s’évaluer à 688,000 mètres cubes, d’une valeur totale de 4,400,000 francs par an ; sur cette somme les forêts communales ou appartenant aux établissemens publics représentent 3,400,000 fr., soit 31 francs par hectare, chiffre minimum, destiné à s’accroître sensiblement, puisque les bois se trouvent dans un état transitoire,