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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/601

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de leur montrer la propriété comme le couronnement d’une existence laborieuse, surtout la propriété de ces mines qu’ils aiment comme le marin aime son bateau, l’officier son drapeau, où, comme ceux-ci, ils ont tant de fois risqué leur vie ?

CONCLUSION.

Le pays façonne-t-il la race, la race avec ses défauts et ses qualités se perpétue-t-elle dans ses meilleurs enfans ? Ou bien le talent pousse-t-il capricieusement, en libre grâce, sans souci des bornes où l’on prétend l’enserrer ? Ne traverse-t-il pas les frontières des peuples, prêt à éclore un peu partout, comme une graine poussée par le hasard de la tempête, cherchant pour ainsi dire une patrie idéale, universelle ? Et ne pourrait-on faire intervenir ici cette théorie de l’évolution dont on a tiré si grand parti en l’appliquant aux genres littéraires ? Ces questions ont inquiété les plus nobles esprits, et peut-être devrait-on les déclarer insolubles, si l’on considère le nombre, la force des argumens mis en avant de part et d’autre. S’il semble que certains génies n’ont pu naître qu’en certains pays, Platon en Grèce, Racine, Montaigne, Molière en France, Hegel, Schopenhauer, Bismarck en Allemagne, Shakspeare en Angleterre, que de tels hommes sont l’aboutissement d’une nation, la synthèse de son histoire ; combien, au contraire, échappent aux catégories, aux classifications des savans, s’envolent par-delà l’étroite enceinte de leur pays, et ne reconnaissent d’autre berceau que l’humanité ! Combien auraient pu s’épanouir ici aussi bien que là ? Serait-ce le mot de l’énigme ? Toutes ces théories ne renfermeraient-elles pas leur part de vérité, et ne pourrait-on partager les talens en trois classes : ceux qui se rattachent visiblement au sol qui les a vus surgir, et résument le tempérament, les vertus de leur patrie ; ceux qui jettent l’ancre dans l’infini, paraissent un effet sans cause appréciable, fleurs exotiques poussées en des climats inconnus ; ceux-là enfin, les plus nombreux sans doute, qui participent des deux autres ordres, portant en eux et reproduisant l’empreinte de leur race, puisant le reste dans le foyer mystérieux où s’alimente l’éternelle flamme de l’inspiration ?

On trouverait en Franche-Comté maint exemple de cette proposition[1]. En tout temps, le Comtois se montre sérieux, réfléchi,

  1. Estignard, Portraits franc-comtois, 3 vol. ; Paris, Champion. — Académie de Besançon, 1879, Notices sur MM. Bugnet et Valette, par M. A. Huart. — Malgré l’aridité d’une simple nomenclature, je rappellerai les noms de quelques hommes du second ordre qui, très justement, ont eu l’honneur d’une biographie dans les Mémoires de l’académie de Besançon et les Portraits de M. Estignard ; quelques-uns même ont été appréciés par Sainte-Beuve : Charles Weiss, érudit admirable, causeur déli-