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des yeux, pour se distraire, le long des frises de l’abside, la procession des maigres brebis du bon pasteur, dans la mosaïque enfumée de l’antique église.

Enfin Grégoire sortit de sa rêverie et parla :

— Pia, ma fille, que Dieu vous protège ! Soyez la bienvenue. Vous êtes, je l’espère, bonne et docile catholique ?

— Oui, mon oncle, s’empressait-elle de répondre ; mais l’évêque d’Albano, qui cherchait une revanche à son homélie perdue, l’interrompit sèchement :

— Dites : Notre seigneur, et non pas : oncle !

Le pape haussa légèrement les épaules. Pia reprit :

— Oui, notre seigneur, mon oncle ; je sais beaucoup de belles prières que m’ont enseignées Mme Mathilde et Mme l’abbesse, le Pater et le Credo en latin, et aussi de fort belles histoires, la passion du bon Dieu à Jérusalem, chez les juifs, la crèche de Bethléem, avec le bœuf, l’âne et les bergers, les rois mages, la fuite en Égypte, Joseph vendu par ses frères, Éliézer et Rebecca au bord du puits. Je sais encore l’histoire de saint Jean-Baptiste, qui mangeait des sauterelles, et celle du petit Jésus au milieu des rabbins, et puis encore celle de l’empereur Charlemagne, qui était vieux de deux cents ans, et qui faisait des miracles à Paris et à Rome. Enfin, tous les jours, je lis à Mme l’abbesse les oraisons de son bréviaire. Je voudrais bien les comprendre, car je suis encore trop petite pour savoir le latin. Mais je devine un peu, à cause des images peintes et dorées, belles comme des fleurs, qui sont à côté des paroles.

Le pape souriait, avec une douceur d’aïeul, au gazouillement de Pia, et les pères du concile, tournés du côté de l’enfant, immobiles, demeuraient sous le charme de cette confession. Le cardinal d’Albano lui-même se sentait ému et désarmé.

— Courage, ma fille, répondit Grégoire. Je vous vois sur le chemin de Dieu. Mais vous êtes, dès aujourd’hui, la pupille de Jésus-Christ. Il vous faut devenir de plus en plus digne de l’Église et de moi.

— Je tâcherai de le devenir, notre seigneur.

— Mon devoir est de confier le soin de votre âme à l’un de mes vénérables frères de l’épiscopat, afin qu’il veille sur elle, et la rende toujours plus sage et plus pieuse.

Il parcourait du regard les bancs des évêques, comme pour inviter l’un d’eux à répondre à son désir. Déjà l’évêque d’Orvieto se préparait à parler et à s’offrir. Victorien saisit rapidement la main de son vieil ami et lui dit à voix presque haute :

— Levez-vous.

L’évêque d’Assise se leva.