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toute heure je serai prêt à votre appel, et jamais, moi, je n’oublierai de veiller sur vous.

— De tout mon cœur, répondit-elle. Je suis vraiment trop seule au monde. Je n’ai point connu ma mère. Mon père, qui était écuyer du seigneur de Soana, est mort à la bataille. La comtesse m’a recueillie alors, mais, pour une orpheline, c’est une dame bien grande. Quant à mon oncle, c’est à genoux qu’il faut lui parler. J’ai peur que mon baiser de tout à l’heure n’ait offensé Dieu en sa personne.

— Votre baiser, dit l’évêque, avait la grâce d’une prière. C’est le Pater des enfans et le Père qui est au ciel l’a pris pour lui-même.

Joachim demanda alors à Pia de lui montrer les reliques renfermées dans la petite châsse pendue à son cou. Elle ouvrit la boite d’or ciselé et en tira quelques sachets de parchemin. Le premier, scellé aux armes de l’évêque de Florence, portait cette inscription :

« Fragment du voile de Notre-Dame. »

— C’est contre les tentations, dit Pia.

Le second sachet, aux armes de l’évêque d’Arezzo, était marqué ainsi :

« Morceau de la tunique de saint Etienne, martyr. »

— Celle-ci, dit-elle, préserve du tonnerre et des pierres qui tombent des montagnes.

La troisième enveloppe, sous le sceau de l’archevêque de Pise, contenait une rose desséchée, cueillie sur la tombe de saint Nil, ermite.

— C’est pour les fièvres mauvaises, dit Pia. À Soana, dès les pluies d’automne, on mourait de ce mal dans toutes les maisons.

Ces trois inscriptions épiscopales étaient en latin, d’une écriture hautaine et hiératique. Un quatrième pli, dépourvu de cachet, noué par un fil de soie, portait ces mots, en langue vulgaire, d’une écriture tout enfantine :

« Ici repose une boucle de cheveux de la petite Tita, ma première amie, laquelle est allée au paradis. »

Pia avait pris la chère relique d’une main tremblante. C’était une histoire très simple et très triste, qu’elle conta en pleurant. Au chevet de Tita languissante, pendant deux hivers, à Soana, elle avait passé de longues heures, berçant la malade d’un rêve d’or, toujours le même, où figuraient des châteaux, des pages, une haquenée blanche, une fanfare seigneuriale. Le soir du dimanche des Rameaux, l’enfant était devenue tout d’un coup plus pâle et s’était endormie entre les bras de Pia, souriant toujours à la vision bienheureuse.

— Gardez précieusement cette relique, ma fille, dit l’évêque.