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Verceil venaient plaider auprès de Grégoire la cause du jeune roi. Mathilde accueillit ces nouveaux hôtes et leur fit comprendre que l’œuvre serait fort épineuse : le pape semblait résolu à désespérer l’empereur.

Enfin, à la tombée de la nuit, deux hommes, un chevalier et un moine, sonnèrent la cloche extérieure du couvent. Le frère portier leur demanda leurs noms et ils entrèrent sans daigner lui répondre. Les deux mystérieux voyageurs s’enfermèrent avec Henri et l’entretien se prolongea jusqu’à l’heure du couvre-feu. Personne, ce soir-là et les jours qui suivirent, n’aperçut leurs visages. Le moine tenait son capuchon rabattu sur les yeux et le chevalier sa visière abaissée.

Le lendemain, Henri, tête nue et pieds nus, revint à Canossa. On l’introduisit seul dans la cour de la seconde enceinte. Il attendit debout, bien des heures, en vain. Le château paraissait abandonné et mort. La neige tombait. Un instant l’empereur crut voir une ombre se mouvoir derrière les grilles d’une étroite fenêtre, au haut d’une tour. L’ombre se montra encore une fois à l’étage inférieur, puis elle s’évanouit. Henri avait alors reconnu le pape à son manteau rouge et à sa face pâle.

Vers le soir, les écuyers de Mathilde l’invitèrent à retourner au monastère.

Deux jours encore, la même attente, la même humiliation se renouvelèrent. À demi nu, dans le tragique appareil de sa pénitence, pleurant, battant sa poitrine, criant miséricorde, Henri ne put obtenir de s’agenouiller aux pieds de Grégoire. Le troisième matin, transi de froid, épuisé par le jeûne, il se réfugia dans la petite église de Saint-Nicolas, bâtie au bord des fossés de Canossa ; il s’assit tout frissonnant, comme un catéchumène, au seuil du baptistère et laissa tomber sa tête sur ses genoux. Des pas s’approchèrent et le tirèrent de sa stupeur : Mathilde, l’abbé de Cluny et l’évêque de Verceil venaient exhorter le misérable au repentir. Il s’empara, en sanglotant, de la main de Mathilde.

— Si tu ne viens à mon secours, dit-il à la comtesse, je ne briserai jamais plus de boucliers, car le pape m’a frappé et mon bras est mort. Ma cousine, fais qu’il me bénisse ! Va !

Le jour fatal de sa déchéance, fixé par les grands vassaux à la diète de Tribur, était voisin. L’empire et la chrétienté seraient bouleversés de fond en comble si Grégoire ne relevait sans retard l’empereur de l’excommunication. L’abbé de Cluny promit d’implorer le pardon au nom de la paix même de l’Église. Cette fois, le pontife céda. Il croyait Henri abattu pour toujours. Il reçut les sermons de la comtesse et de l’abbé qui répondirent de la loyauté du suppliant et de ses efforts pour la conversion de l’Allemagne à l’obédience de Rome, Puis il accorda le lendemain pour la cérémonie de l’expiation.