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on nous fait remarquer un tic, une manie, un ridicule, que nous en eussions ou non jusqu’alors conscience ; par exemple aussi lorsqu’on nous tire brusquement d’une rêverie en nous demandant à quoi nous pensons ; par exemple encore si nous nous apercevons qu’on a deviné un projet que nous couvions secrètement. — Nous rougissons aussi quand nous nous prenons nous-mêmes sur le fait : je m’aperçois tout à coup que je fais quelque chose d’insolite, par exemple que je parle plus que d’habitude, ou que je me vante, ou que je traite quelqu’un trop familièrement : je rougis.

Tels sont les principaux cas de rougeur. Ils peuvent se ramener à quatre types : modestie, pudeur, timidité, confusion. Quelle est, dans chaque espèce de cas, la cause morale ? Y a-t-il dans tous un élément commun ? Y a-t-il un état d’esprit déterminé qui corresponde toujours au phénomène visible de la rougeur ?


II

Un éloge nous fait rougir : que se passe-t-il donc en nous ? Un fait très simple : cet éloge nous fait plaisir ; nous le savourons, nous en voudrions d’autres, nous en avons soif, tout l’être vibre de joie et de désir. — Mais nous ne voulons pas qu’on s’en aperçoive : il ne le faut pas ; il est convenu que nous devons être modestes, être au-dessus de ces vanités ; nous aurions peur qu’on ne se moquât de nous si on devinait cet émoi secret. — Or, il nous semble précisément qu’on le devine ; car nous sentons ou nous imaginons qu’on nous observe ; nous nous figurons l’attention de tous fixée sur nous ; nous avons l’impression que tous les regards convergent sur notre visage. Il nous semble qu’on lit en nous à livre ouvert, qu’on voit dans notre cœur ce qui s’y passe. — Voilà le fait essentiel : nous avons le sentiment qu’on découvre au fond de nous ce que nous voulons cacher.

Que se passe-t-il maintenant dans un cas tout différent, dans le cas de pudeur ; quand une jeune fille, par exemple, entend un mot inconvenant ? Voici, je crois, l’état de son âme : ce mot, elle le comprend ; — sinon, ce qui arrive pour l’innocence absolue, elle ne rougirait pas ; — elle le comprend, et par suite elle en est émue. Elle en est froissée, choquée, — à moins parfois qu’elle n’y trouve du plaisir ; — en tout cas, elle en est troublée. Or, ce trouble, elle est obligée de le cacher : car elle est censée ne pas comprendre, il est convenu qu’elle ne sait rien, qu’elle ne comprend rien. À tout prix, il faut qu’elle ait l’air de ne pas comprendre ; il ne faut pas qu’on s’aperçoive de son émotion. Elle se raidit pour la contenir.