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j’avoue une faute, peut-être fais-je quelque attention à mon maintien et à mon air ; mais ce n’est pas là l’essentiel : l’essentiel, c’est le sentiment que quelque chose de secret va être dévoilé. Même dans les cas de timidité, l’attention que nous portons sur nous n’est que secondaire ; l’écolier qu’on interpelle brusquement est bien un peu gêné dans les entournures et inquiet de la mine qu’il peut faire ; mais ce qui le tourmente, c’est la révélation possible de son amour-propre dans certains cas, de son ignorance dans d’autres. Le timide qui rougit en entrant dans un salon est, sans doute, fort préoccupé de son attitude physique, mais au fond, ce qui le paralyse, c’est surtout l’idée qu’on devine son émotion qu’il voudrait secrète. La jeune fille qui entend un mot inconvenant se soucie, sans doute, un peu de son visage qu’elle veut garder calme et naturel ; mais ce qui est dominant en elle, c’est la crainte qu’on ne voie au fond de son âme ce qu’elle tient à cacher. L’homme qui reçoit des éloges cherche, sans doute, à garder une physionomie impassible ; mais ce qui le gêne au-dessus de tout, c’est l’idée que sa vanité secrète peut être devinée. — L’attention portée sur soi est donc peut-être un fait fréquent, peut-être même un fait constant : à coup sûr, ce n’est pas le fait essentiel, le fait influent, la cause.

Ce n’est donc pas parce que nous portons notre attention sur nous que nous rougissons. Ce n’est même pas parce que l’attention des autres se porte sur nous. Darwin, en deux ou trois endroits, semblerait pencher vers cette hypothèse. Au fond, elle n’est pas plus juste que l’autre. Sans doute, dans presque tous les cas de rougeur, nous sommes préoccupés de l’attention d’autrui. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Si l’attention d’autrui nous fait rougir, c’est que nous avons quelque chose à cacher ; c’est que nous craignons pour nos pensées ou nos émotions secrètes. Sinon, peu nous importerait. — Le fait extérieur est secondaire ; ce qui est capital, c’est le fait intérieur, le souci de ce que nous cachons, la crainte qu’on ne le découvre. Quand je rougis, j’ai le sentiment qu’on pénètre au fond de mon âme : voilà le point.

Telle est donc la solution à laquelle nous nous arrêterons. Toutes les fois que nous rougissons, nous craignons pour ce qu’il y a de secret en nous. Nous avons peur qu’on ne voie au fond de nous : modestes, nous avons peur qu’on ne voie au fond de nous une joie de vanité ; pudiques, qu’on ne voie au fond de nous une pensée interdite ; timides, qu’on ne voie au fond de nous une émotion ridicule ; coupables, qu’on ne voie au fond de nous un souvenir inavouable.

Dans tous ces cas, la rougeur va directement contre notre