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intérêt. Nous tremblons qu’on ne devine en nous une joie secrète, et la rougeur trahit cette joie. Nous tremblons qu’on ne soupçonne en nous une pensée secrète, et la rougeur trahit cette pensée. Nous tremblons qu’on n’aperçoive en nous un trouble secret, et la rougeur trahit ce trouble. On rougit parce qu’on craint le regard, et la rougeur l’attire. La rougeur ne sert donc à rien. À moins de dire, comme Darwin, qu’elle sert à embellir la joue des jeunes filles ; à moins d’y voir une marque de la justice divine qui a voulu que les coupables se trahissent eux-mêmes, il faut reconnaître qu’elle n’a aucun but. Elle semble déplacée dans le concert des phénomènes utiles à notre existence. Elle est un luxe inutile et dangereux.


Cette relation constante entre la rougeur, fait physique, et le sentiment d’être démasqué, lait moral, il faudrait maintenant l’expliquer. Pourquoi le sentiment qu’on voit nos pensées secrètes nous fait-il rougir ? D’où vient que ces deux faits forment un couple ? — La tentation de chercher une réponse est forte ; mais je crois que nous devons résister. Nous n’en savons pas encore assez long sur la nature pour résoudre un tel problème avec précision. Tout ce que nous pouvons faire, à l’heure qu’il est, c’est dire : toutes les fois que tel phénomène physique se produit, tel phénomène moral se produit ; il y a entre eux une liaison invariable. Quant à comprendre pourquoi l’un entraîne l’autre à sa suite, nous ne le pouvons guère. Il y aurait peut-être place pour quelques hypothèses plus ou moins vraisemblables ; mais aucune ne pourrait être établie scientifiquement : mieux vaut donc se les interdire. Contentons-nous de constater et de prouver ; plus tard nous comprendrons.


CAMILLE MELINAND.