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des calomniateurs assez effrontés, assez indignes pour accuser un homme de leurs propres torts et pour le sacrifier à la peur qu’il ne les accusât.


Tous les jours on se battait avec les Autrichiens qui n’étaient séparés des Français que par la Sambre que l’on passait à tous momens. Le 2 novembre, huit escadrons de hussards des Ardennes et six pièces d’artillerie étaient allés attaquer le camp ennemi de l’autre côté de la Sambre. Le combat avait duré toute la journée. Thiébault en raconte les alternatives et il ajoute :


La seule chose qui m’intéressa dans cette journée fut la femme d’un des capitaines de hussards des Ardennes, nommé de Saulanne[1]. Cette jeune amazone de vingt ans, en costume d’officier de ce corps, ne quittait pas son mari, et, dans deux charges que le régiment exécuta sous nos yeux, elle se conduisit aussi bravement que le plus intrépide des hussards. Son sabre au poing, elle était toujours des premiers ; mais, se défiant de la vigueur de son bras, elle avait un sabre presque droit, pointait au lieu de sabrer et piquait à la figure avec beaucoup d’adresse. Elle montait, d’ailleurs, à cheval à merveille et maniait avec une aisance parfaite un coursier aussi fin que léger. Je me rappelle que, plusieurs hussards des Ardennes et chasseurs de mon bataillon s’étant trop aventurés et se trouvant vigoureusement ramenés par un escadron de Blanckenstein, elle partit ventre à terre suivie par quelques hussards qui, de leur propre mouvement et par l’effet de l’enthousiasme qu’elle inspirait, se précipitèrent derrière elle ; elle arriva au milieu des hommes les plus compromis, ralentit la poursuite des ennemis et criait à nos soldats : « À la queue des chevaux, chasseurs ! » Ces deux corps, au reste, se soutenaient avec un égal dévoûment ; presque tout de suite, ils s’étaient liés de cette fraternité d’armes dont il y a dans nos armées de si honorables exemples.


Thiébault était enfin entré à Bruxelles après plus de dix batailles dont celle de Fleurus (8 messidor an III, 26 juin 1794). Mais ce fut à Anvers qu’il apprit, la fin de la Terreur, la mort de Robespierre, l’exécution des membres de la Commune mis hors la loi par

  1. Le lieutenant-général Margaron, alors chef d’escadrons dans les hussards des Ardennes, m’a rappelé le nom de cette héroïne et dit que M. de Saulanne quitta le service en 1794, à cause des dangers auxquels il ne pouvait empêcher sa femme de s’exposer. Aussi heureuse que brave, elle échappa au fer comme au feu de l’ennemi ; mais est-il à croire qu’elle n’ait pas regretté de ne pas avoir ajouté à ses chevaleresques et brillans souvenirs !