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soit pas le temps d’examiner aujourd’hui la question. — M. Mabilleau dit encore des choses fort intéressantes sur la « sensibilité visuelle » du poète, sur « la constitution de son appareil optique, » sur la façon dont « les sensations de couleur se noient chez lui » dans l’épaisseur de l’ombre ou dans le rayonnement de ce


.......... soleil radieux
Si puissant à changer tout forme à nos yeux.


Peu sensible à la couleur, ou du moins aux nuances des couleurs, nul œil ne l’a été davantage au « relief » des choses, à leur figure extérieure, et c’est encore ce que M. Mabilleau, dans un chapitre sur la Forme plastique d’Hugo, a bien vu et bien dit. Il n’a pas mal expliqué non plus comment, dans tous les actes de perception, « la sensibilité du poète avait traversé trois phases : l’opposition d’abord, puis l’exagération, et ensuite la fusion des élémens perceptibles en une sorte d’unité finale où disparaissent toutes les distinctions. » Evolution logique, ajoute-t-il, et même nécessaire ! « Car le contraste entraîne le grossissement, et l’excès de l’impression en fait évanouir le contenu réel. » Ces deux « formules » méritent qu’on les retienne. On retiendra pareillement quelques-unes des indications qu’il a jetées dans son chapitre sur le Monde imaginaire d’Hugo. M. Mabilleau a bien parlé, quoique trop brièvement peut-être, de ce sens du mystère, qui caractérise entre tous l’auteur de la Bouche d’ombre, Pleine Mer, Plein ciel, la Trompette du Jugement. Et j’aime enfin ce qu’il dit à cette occasion des trois manières successives d’Hugo : « Conscience du génie individuel d’abord, exaltation de la personnalité ensuite et exagération de ses caractères ; enfin, détente par excès de tension, et dissolution de l’appareil sensitif et imaginatif. » Comment donc se fait-il que le livre de M. Mabilleau ne produise qu’une impression assez confuse, et qu’ingénieux, savant, spirituel souvent dans le détail, il ne soit pas ce que l’on attendait ?

Ne serait-ce pas qu’en premier lieu, le style de M. Mabilleau n’a pas encore toute la finesse de pointe et l’acuité de pénétration que son dessein exigeait ? je puis le dire, peut-être, et l’observation n’a rien certes de désobligeant, si moi-même, souvent tenté par la même idée que M. Mabilleau, j’ai toujours craint de ne pas trouver les mots qu’il faudrait pour la rendre. Ce qui est difficile, en effet, ce n’est pas de saisir les nuances, quoique déjà très délicates, mais, comme en tout un peu, c’est de les fixer au moyen de mots, et ici, dans le technique, on ne sait pas, si l’on n’a commencé par en faire l’épreuve, quelle est la raideur et la pauvreté du vocabulaire de l’usage. Fromentin seul, que M. Mabilleau cite quelque part, a triomphé de la difficulté, dans