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Louis XV désignait à son tour le marquis de La Chétardie pour le représenter en Russie. L’Angleterre sentit son isolement, au moment même où le jeune Frédéric II s’élançait sur l’Autriche et pouvait devenir un ennemi redoutable. En mars 1739, le résident anglais à Pétersbourg soumit au vice-chancelier Ostermann un traité d’alliance offensive et défensive. Quelques mois plus tard, la paix de Belgrade obligeait les Russes à évacuer la Moldavie et interdisait à leurs flottes l’accès de la Mer-Noire. Le succès des négociations entamées entre le cabinet britannique et le gouvernement russe n’en était que plus assuré. La convention d’alliance fut signée le 3 avril 1741, cinq mois après la mort d’Anna Ivanowna ; George II en ratifia le texte officiel et les clauses secrètes le 20 juin et le 7 novembre de la même année. Mais M. de Martens n’a pu trouver dans les archives de Moscou la trace des ratifications impériales. Tout porte à croire que la révolution du 6 décembre 1741 et l’avènement d’Elisabeth suspendirent l’exécution du traité. D’ailleurs, la nouvelle impératrice ne voulut pas le reconnaître.

La fille de Pierre le Grand allait-elle reprendre les derniers desseins de son père ? Plusieurs symptômes pouvaient faire espérer un rapprochement entre Pétersbourg et Versailles : « La France est ici en bénédiction, » écrivait le 16 décembre 1741 La Chétardie au secrétaire d’État des affaires étrangères. En effet, elle avait été l’âme de l’heureux complot qui venait de porter Elisabeth au pouvoir, et celle-ci s’empressa de témoigner sa reconnaissance à Louis XV. Notre ministre était comblé de faveurs, et la jeune impératrice ne perdait pas une occasion d’exprimer le vœu qu’une union plus étroite se formât entre les deux couronnes. Mais le gouvernement de Louis XV ne sut pas profiter de cette occasion nouvelle. Quand les Suédois venaient d’être encore battus, la France imposa sa médiation en leur faveur et leur fit promettre pour le sultan un subside de 300,000 piastres. Une dépêche compromettante du secrétaire d’État Amelot à notre ambassadeur près la Porte fut interceptée par la police autrichienne et placée sous les yeux d’Elisabeth. La Chétardie choisit ce moment pour entamer contre les frères de Bestoujef, dont l’un était vice-chancelier et l’autre maréchal de la cour, l’un et l’autre acquis à l’alliance anglaise, une lutte dans laquelle il succomba. « Jamais, avait dit la tsarine au mois de septembre 1742, on n’arrachera la France de mon cœur, » et ce langage était sincère. Cependant, deux mois plus tard, le vice-chancelier Bestoujef-Rioumine conclut pour sa souveraine avec la Grande-Bretagne le pacte d’alliance qui devait remplacer le pacte inexécuté de 1741. Ce n’était, en apparence, qu’un traité d’alliance « défensive ; » mais, quand on le lit avec