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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/803

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daté du 28 décembre : « Lorsque M. Harris fera sa communication de la réponse de l’Angleterre, il sera bon de lui dire que nous serions bien aise de savoir au clair en quoi consistent les principes du droit des gens adoptés par l’Angleterre, et que, d’avance, nous sommes persuadé que le droit de piller les vaisseaux neutres ne peut être au nombre de ses principes. »

Ce grand mouvement d’opinion, cet élan de tant d’esprits, cet accord de tant de peuples n’eurent pas, si l’on s’arrête aux événemens qui marquèrent la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe, de conséquences juridiques immédiatement efficaces. L’œuvre de Catherine II lut bien vite battue en brèche par un flot d’intérêts et de passions coalisés. On a déjà vu que les Anglais, tout en affectant de ménager le commerce russe, n’avaient rien oublié, ni rien appris. Même en 1782, après la chute du cabinet présidé par lord North et quand Fox, devenu ministre des affaires étrangères, promettait de déclarer à la face du monde entier que les principes de neutralité proclamés par l’impératrice devaient être considérés « comme les principes généraux du droit des gens, » l’Angleterre subordonnait à de telles conditions cette adhésion de la dernière heure que l’accord ne fut pas possible. Elle devait, en outre, profiter du trouble profond que la révolution française de 1792 apporta dans les relations internationales pour tout remettre en question et tout oser. Il ne s’agissait plus, quand l’échafaud se fut dressé pour Louis XVI, de la nouvelle législation maritime : la marche de la civilisation, les lois mêmes de la guerre étaient suspendues dès que la guerre était faite à la France. La mer fut livrée à tous les brigandages, et la déclaration de 1780 parut un moment n’avoir été faite que pour montrer avec éclat l’impuissance des hommes à maîtriser les abus de la force. Toutefois, ces abus mêmes justifièrent et ressuscitèrent plus tard l’œuvre de Catherine II.

Les conséquences politiques de ce grand acte furent, au contraire, immédiatement palpables. Depuis 1553 jusqu’en 1780, la Russie avait passé pour être u l’alliée naturelle » de la Grande-Bretagne : on se plaisait à le dire et à le redire. Les querelles, s’il en survenait, étaient passagères et ressemblaient à ces accès de dépit amoureux qui ménagent ou préparent les douceurs d’un rapprochement inévitable. Il n’en fut plus ainsi désormais. C’est en vain que le roi d’Angleterre proposa, soit comme en mars 1781, d’occuper l’île de Minorque et de la céder ensuite à la Russie pour lui permettre de se créer une station maritime dans la Méditerranée, soit même, comme en juin 1782, de « fermer les yeux sur quelques principes assez solides » pour adhérer au système de la neutralité armée ; Catherine ne voulait être à la queue de