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par ce seul mot : « Vous êtes payés. » Il les montrait exigeant ensuite des prières non plus seulement pour eux, mais pour les autres, et tout Français ayant le droit de réclamer des oraisons pendant sa vie et des prières après sa mort, sa quittance de contributions à la main. « Ils n’ont pas besoin d’être justes, s’écriait-il ; vous êtes payés. Ils n’ont point de comptes à vous rendre. Vous êtes payés… A-t-on jamais traité les hommes avec plus de mépris ? Ils se moquent de vos prières, et vous ordonnent de les chanter. Si vous n’obéissez pas, vous êtes des séditieux à qui le trésor sera fermé ; si vous obéissez, vous leur devenez si vils, qu’il n’y a pas de termes dans les langues pour exprimer ce qu’ils pensent de vous. »

Assurément la situation un peu fausse que crée à l’Église le fait de recevoir une rémunération de la main d’un gouvernement étranger à ses croyances n’a jamais été dénoncée en termes plus saisissans. Cependant ce péril que la nécessité de passer à la caisse du percepteur faisait courir à l’indépendance du prêtre n’était rien aux yeux de Lacordaire par comparaison avec d’autres dangers plus graves. Que le clergé abandonnât ses temples, qu’il rejetât fièrement l’or qu’on lui offrait pour payer sa servitude, et du jour au lendemain le péril était conjuré : le présent et l’avenir se trouvaient sauvés du même coup. Il n’en serait pas de même si ce clergé que Lacordaire conviait à l’indépendance était souillé dans la pureté de son recrutement. Ce recrutement dépendait des évêques qui nomment les curés ; mais ces évêques eux-mêmes étaient recrutés par l’État. Cette pensée que les pasteurs suprêmes de l’Église pussent être proposés au choix du souverain pontife et imposés aux catholiques par des ministres qui ne partageraient pas leur foi le faisait frémir. Elle lui paraissait un moyen assuré d’abaisser l’Église de France en la frappant d’abord à la tête et pour traduire les appréhensions que lui inspirait ce noir dessein des ministres, il trouvait des accens d’une extraordinaire véhémence.

« Quelle sera pour nous, s’écriait-il, la garantie de leur choix ? Depuis que la religion catholique n’est plus la religion de la patrie, les ministres de l’État sont et doivent être dans une indifférence légale à notre égard : est-ce leur indifférence qui sera notre garantie ? Ils sont laïcs ; ils peuvent être protestans, juifs, athées ; est-ce leur conscience qui sera notre garantie ? Ils sont choisis dans les rangs d’une société imbue d’un préjugé opiniâtre contre nous. Est-ce leur préjugé qui sera notre garantie ? Ils règnent sur la société depuis quatre mois. Est-ce leur passé qui sera notre garantie ? Ils n’ont ouvert la bouche que pour nous menacer ; ils n’ont étendu la main que pour abattre nos croix ;